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Femmes maçons : Bâtir demain au quotidien

13 novembre 2016

C’est un travail à la dure. Peut-être trop dur pour une femme. Mais c’est un choix que certaines d’entre elles ont fait au nom de leurs enfants. Hier encore, l’image de ces dames perchées sur des échafaudages était inexistante mais aujourd’hui, c’est une réalité. Sur le chantier où domine le gris du béton, elles essaient de se fondre dans la masse, s’appliquent avec concentration et exigence. Cependant, il est impossible de ne pas les remarquer. Casque de protection sur la tête, bottes aux pieds et gants sur les mains, ces femmes du bâtiment réinventent au quotidien ce monde qui s’est toujours conjugué au masculin. Si c’est un phénomène relativement nouveau dans le paysage local, n’empêche qu’un nombre grandissant de femmes n’ont plus peur de se salir les mains pour gagner leur vie. Leurs efforts pour grandir leurs enfants sont à la hauteur de ces gouttes de sueur qui coulent de leur front, symbole de tant de sacrifices pour assurer un meilleur lendemain à leur famille.

 

Si elle apparaît plutôt timide et réservée, Christiani Raboude n’hésite pas à hausser le ton quand il lui faut se faire entendre de ses pairs. La jeune femme de 27 ans a toujours été une fonceuse et quand ses trois enfants ont commencé à grandir, elle a dû mettre la main à la pâte pour assurer leurs besoins. C’est pour eux qu’elle s’est mise à travailler dans la construction. «Il faut les envoyer à l’école, leur donner tout ce dont ils ont besoin. Il faut se débrouiller comme on peut.»Ses petits, fiers d’elle, l’appellent d’ailleurs «mami traser». Malgré un corps ankylosé par tant d’efforts, Christiani se lève chaque matin depuis trois ans pour «bat sima».

 

À la pause déjeuner, le chantier prend des airs de cour de récré. Les hommes se dispersent un peu partout, alors que les dames se regroupent dans un coin du bâtiment en construction, à Riche-Terre. Ça papote joyeusement pendant que les tupperwareet katorasortent des paniers et certaines s’empressent de prendre des nouvelles de leurs petits au téléphone. Cette mi-temps est un moment privilégié et elles en profitent avant d’attaquer le reste de la journée. Sous les casques apparaissent des visages fatigués mais souriants et les gants laissent deviner des mains poussiéreuses et rugueuses à force de travailler à la dure. Quelques fois, des petites blessures laissent des cicatrices mais leur plus grand cauchemar, ce sont toutes ces cloques dont elles n’arrivent pas à se débarrasser.

 

Tout ça n’a pas beaucoup d’importance pour Moyeline Casimir, 30 ans. Ce qui lui importe, c’est de pouvoir gagner sa vie dignement et de rentrer chez elle s’occuper de sa famille. Derrière sa petite corpulence et son air timide se cache une fonceuse qui n’a pas froid aux yeux. «Avant, je travaillais à l’usine mais ça ne payait pas bien. Un jour, à Port-Louis, j’ai vu des femmes faire le travail de maçon. Je leur ai demandé si je pouvais en faire de même et quelques jours plus tard, je me suis retrouvée sur un chantier.»Si elle avait éprouvé de l’admiration pour ces femmes croisées dans la capitale, Moyeline a très vite déchanté.

 

Le corps «kas kase»

 

Elle qui n’avait jamais levé la moindre petite brique s’est retrouvée subitement dans un univers à 98 % masculin, à «pouss bourrett», transporter des «blok»et des «poket sima»sur ses épaules ou à monter des échafaudages de plusieurs mètres. Les premiers jours, elle a cru qu’elle ne tiendrait pas longtemps. «En rentrant à la maison, j’avais le corps kas kase. J’étais vraiment découragée. Je voulais tout arrêter mais comment vivre sans travailler ?»C’était il y a neuf ans. Depuis, chaque jour, la jeune femme quitte son Caro Calyptus pour se rendre sur un chantier de construction afin de pouvoir offrir à ses deux enfants de 13 et 9 ans ce dont ils ont besoin.

 

Comme pour Moyeline, c’est la priorité de toutes ces femmes qui exercent un métier physiquement exigeant et considéré comme réservé aux hommes. Ici, personne n’est tombé dans la marmite par choix. Presque toutes ne sont pas allées au bout de leurs études secondaires et sont devenues mamans assez jeunes. Lorsqu’il a fallu trouver du travail pour faire bouillir la marmite, elles n’ont pas pris peur à l’idée de se salir les mains. Christiana Alfred, 28 ans, est maman de quatre filles âgées entre 13 et 2 ans. Avant, elle travaillait comme cleaner, puis elle a décroché un job dans la fabrication d’ouverture en aluminium et est finalement tombée dans le domaine de la construction. C’est en s’occupant du bois, du ciment, des échafaudages et autres qu’elle gagne sa vie. Après sept ans, Christiana a su trouver un équilibre. «Je n’ai pas à me réveiller très tôt et ça me permet de m’occuper de mes enfants puisqu’on ne termine pas trop tard.»Pourtant, au début, comme ce fut le cas pour toutes ses collègues, elle a failli jeter l’éponge. «J’avais des douleurs sur tout le corps. C’était très difficile mais aujourd’hui je me suis habituée à tout ça. De toute façon, il faut travailler.»

 

La jeune maman s’est aussi habituée à travailler sur un chantier rempli d’hommes qui peuvent parfois se montrer taquins mais jamais «très méchants». Si les collègues masculins montrent un certain «respect»envers les femmes, il existe tout de même, dit-elle, une politique de chasse gardée. «Les hommes sont considérés comme de vrais maçons et nous comme des aide-maçons alors que nous pouvons faire la même chose. Les femmes sont plus sérieuses au travail», confie l’une des ouvrières. N’empêche, explique Prisca Hyppolite, il règne une bonne ambiance sur le chantier. Souvent, les dames peuvent compter sur le soutien de leurs collègues hommes. «Quand nous sommes fatiguées, on peut se reposer. Certains en voyant qu’on fait trop d’efforts viennent nous aider, d’autres nous montrent comment faire pour poser des briques, crépir un mur et tout.»

 

À 20 ans, cette jeune femme toute menue a l’air d’être l’une des meneuses du groupe. Lorsqu’elle a arrêté l’école en Form IV, elle a bien essayé de travailler ici et là mais rester assise de 9 heures à 16 heures entre quatre murs à faire la même chose au quotidien ne l’a jamais intéressée. Prisca a besoin de bouger, de faire quelque chose de ses mains, de transpirer, de foncer. Elle travaille sur les chantiers depuis trois ans et c’est un choix qu’elle ne regrette pas. Chaque jour, en regardant sa fille de huit mois, la jeune maman se dit qu’elle a pris la bonne décision. «Si vous aimez travailler et que vous en avez besoin, vous allez le faire quoi qu’il en soit. Moi, ça m’a permis d’avancer, de faire des progrès.»

 

Mary-Jane John, la dernière arrivée du groupe, aimerait bien avoir le même état d’esprit mais dix jours seulement après avoir débarqué dans cet univers dont elle ne connaissait rien avant, elle a du mal à se faire à son nouveau rythme de vie. «C’est la première fois que j’ai à faire ce genre de choses», dit-elle d’une voix à peine audible. Dans ses yeux, la fatigue, le découragement, la déception et une volonté à continuer malgré tout. «Je suis maman d’un fils de 3 ans. Il n’y a pas longtemps, j’étais marchand ambulant. Je vendais des légumes à Port-Louis mais avec la police à nos trousses, jene pouvais plus gagner ma vie. J’ai dû trouver autre chose pour pouvoir répondre aux besoins de mon enfant.»C’est pour lui que, malgré toutes ses désillusions, elle continuera à lutter chaque jour, même si elle doit se tuer à la tâche.

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