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2 février 2016 13:02
Dans la maison d’accueil de l’association Les Amis d’Agaléga à Roche-Bois, le temps semble s’être figé. Depuis les dernières grandes vacances, le centre, qui accueille les jeunes garçons venus d’Agaléga, est inhabité faute de financement. Ce qui empêche la maison de tourner comme elle le devrait. Celle-ci a été créée en 2013 par ses membres, qui militent pour les droits et le bien-être des Agaléens, en vue d’accueillir les jeunes étudiants venus d’Agaléga afin de leur permettre d’étudier au-delà de la Form IIet du Prévoc 2,disponibles dans leur archipel.
Pour ces jeunes, même s’ils n’en sont pas tous conscients, l’éducation n’est autre que la clé d’un avenir meilleur pour eux et pour leur île. Lorsque Laval Soopramanien, qui est le seul de sa famille à ne pas être né à Agaléga, et d’autres natifs créent Les Amis d’Agaléga en 2003, ils s’engagent à se battre pour le développement de leur pays et le bien-être des quelque 400 habitants qui y vivent. Faire respecter le droit à l’éducation est, depuis, une priorité. «C’est important pour eux, mais aussi pour Agaléga qui est en passe de se développer. Il faudrait que ces jeunes puissent s’instruire et qu’ils aient les compétences nécessaires pour pouvoir non seulement obtenir du travail outre que celui de maçon et de pêcheur, mais aussi être partie prenante du développement de leur île»,explique-t-il.
Afin de permettre aux jeunes de poursuivre leurs études, la maison d’accueil est mise sur pied. Elle peut accueillir jusqu’à huit garçons à la fois. Ils sont logés, nourris et blanchis. Le local, qui se trouve en bordure de route à Roche-Bois, est une vieille maison qui dispose de trois chambres. Deux d’entre elles sont réservées aux bénéficiaires qui sont quatre à partager une chambre. Un lit, une armoire, une chaise : elle possède le strict minimum niveau confort, mais les garçons n’en demandent pas plus. La troisième chambre à coucher est celle de Matante Rasa, comme on l’appelle ici. Elle est un peu la maman de la maison.
Depuis que le projet a été lancé, elle vit avec ces jeunes et veille sur eux. Outre le ménage et la cuisine, elle prend soin d’eux en les réveillant chaque matin et en veillant à ce qu’ils prennent leur déjeuner pour l’école. Au retour, c’est avec un goûter qu’elle les accueille. Même si les résidents sont libres, ils se doivent de respecter les règles de la maison. Et il faut dire que Matante Rasa veille au grain. «La porte se ferme à 19 heures tapantes», précise-t-elle en attachant ses balie cocoque l’association compte revendre pour récolter des fonds.
Johnson Sababady, 16 ans, se souvient parfaitement du premier jour où il a mis les pieds dans cette maison pas comme les autres et qu’il a rencontré celle qu’il considère aujourd’hui comme une deuxième maman. Quitter sa famille derrière lui et se retrouver seul pour la première fois dans un pays qu’il ne connaît pas et qui est tellement plus grand que le sien ont été des épreuves. «J’étais déjà venu à Maurice avant. J’avais 11 ans. Mon bras s’était cassé et je devais me faire soigner à l’hôpital. Mais ce n’était pas la même chose. La première fois, je ne me sentais pas chez moi»,se souvient-il.
En effet, lorsque l’adolescent pose ses bagages pour la première fois en 2014 à la maison d’accueil d’Agaléga, il est totalement dépaysé. Pour lui, tout est nouveau et grand : «Il fallait prendre le bus et en changer, je n’étais pas habitué à cela. Là-bas, il n’y en a pas beaucoup de bus. Il y a l’île Nord et l’île Sud. Le plus souvent, on marche. Et puis, l’environnement est différent, il n’y a que 400 habitants environ. Tout le monde est de la famille. On se connaît tous.»
Après trois mois, Johnson jette l’éponge et s’en va rejoindre son père maçon et sa mère qui travaille comme laboureur. Mais conscient qu’il ne pourra pas avancer s’il reste à Agaléga, il revient à Maurice l’année dernière. «Je n’avais pas le choix. Là-bas, il n’y a rien. Je ne pouvais pas me résoudre à devenir laboureur, maçon ou pêcheur»,confie l’adolescent. Il commence alors des cours en aluminium. Il rêve de se lancer dans son pays qui ne connaît pas encore les ouvertures en aluminium. Depuis que la maison d’accueil a fermé ses portes en attendant de trouver du financement, Johnson a trouvé refuge chez un proche de sa famille à Lallmatie. Conscient qu’il ne pourra pas y être hébergé éternellement, il se fait du souci pour son avenir.
Comme lui, Cédric Rekha, 17 ans, se demande ce qu’il adviendra de lui si la maison d’accueil des Amis d’Agaléga n’ouvre pas ses portes de sitôt. Depuis la reprise des cours cette année, il vit avec sa grand-mère agaléene qui est actuellement en vacances à Maurice. Lorsque celle-ci repartira, il se retrouvera seul ici. Comme les 16 jeunes qui sont passés par le centre, Cédric est arrivé à Maurice après sa Form 3afin de compléter ses études. Avec une maman née à Maurice, le jeune homme est un peu plus à l’aise avec la vie ici. Cependant, être en vacances et vivre loin de son pays sont deux choses différentes.
L’adaptation à sa nouvelle vie et à sa nouvelle maison a pris un certain temps. «Là-bas, je vis au Village 25. Ce qui me plaît, c’est la tranquillité d’Agaléga et le fait que tout le monde vive en communauté. Ici, c’est différent. Là-bas, on a la pêche, les poissons en abondance. Bon, nous n’avons presque rien, pas de supermarché, pas d’hôpital, pas de restaurant, mais c’est aussi ce qui fait le charme d’Agaléga. Tout est encore à l’état brute, alors qu’ici la pollution fait beaucoup de dégâts»,explique-t-il.
Même si sa famille et son île lui manquent, Cédric a dû vite se faire à la vie à Maurice, car étudier est pour lui une priorité. Ainsi, après le collège, il s’est lancé dans des cours d’électrique. Les projets, Cédric en a plusieurs : «Après mes cours, j’espère suivre une formation pour travailler sur les bateaux. J’aimerais devenir un professionnel avant de rentrer à Agaléga. Je veux aider à développer mon île.»
Face à ces jeunes, Laval Soopramanien remue ciel et terre pour pouvoir remettre la maison à flot et sortir de ce désert, comme il l’appelle. L’association a besoin de Rs 35 000 par mois pour que la maison puisse fonctionner. «Ils reçoivent Rs 2 000 comme aide mensuelle par l’Outer Islands Development Corporation, mais ce n’est pas suffisant pour assurer tous les frais pendant un mois. Nous croulons sous les dettes, le loyer, l’électricité. Nous avons besoin d’aide»,insiste Laval, en espérant que le public mauricien et les entreprises entendent son appel à l’aide et donnent un coup de pouce à ces jeunes.
Car, si la maison d’accueil n’ouvre pas ses portes, ces derniers risquent de ne pas aller jusqu’au bout et de reprendre le bateau pour Agaléga le 13 février. Eux aussi, comme trois des anciens résidents de la maison d’accueil qui ont pris de l’emploi dans leur archipel l’année dernière, espèrent pouvoir réaliser leurs rêves et contribuer au développement de leur île.
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