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16 octobre 2015 13:53
Il y a quelques années, se souvient Elodie, alors que c’était l’heure de la récréation, une fille de son école lui a lancé une pierre dans le dos, avant de rire aux éclats face à son chagrin. Il y a aussi eu cette fois où une vieille dame dans l’autobus lui a lancé un regard méprisant, avant de la traiter de «mongole». Ce terme utilisé pour désigner des personnes atteintes de trisomie 21 et initié par le médecin anglais John Langdon Down, qui trouvait que les personnes porteuses de ce handicap avaient des traits similaires aux habitants de la Mongolie, sonne aujourd’hui comme une insulte, une offense.
La méchanceté gratuite, Elodie, 22 ans, en connaît quelque chose. Cela l’a pendant longtemps blessée. Mais aujourd’hui, la jeune femme ne fait plus vraiment attention à ce que peuvent dire les autres. En devenant adulte, elle s’est épanouie et a su devenir indépendante. Désormais, face aux mauvaises langues, Elodie ne garde pas sa langue dans sa poche : «Je sais me défendre. Maintenant, quand quelqu’un se moque de moi, je le remets à sa place. C’est comme cette vieille dame dans le bus. J’ai sorti mon bus pass pour lui montrer qu’il n’y était pas écrit mongole.»
Pendant longtemps, elle a eu du mal à accepter sa différence, avant de pouvoir créer une barrière entre elle et ceux qui veulent la blesser, et finalement arriver à s’assumer et s’affirmer telle qu’elle est : «Je ne me sens pas différente des autres. Je suis normale.» Après une scolarisation dans le département pré-vocationnel du collège Lorette de Curepipe pendant trois ans, Elodie se lance dans un cours d’Arts & Crafts au MITD : «Je viens de finir ma première année. Maintenant, je vais poursuivre avec un Advanced Course et un cours sur l’entrepreneuriat.»
Trouver un travail et être comme les autres, c’est ce qui pousse Elodie à se battre. Sa force et sa détermination, elle les puise dans l’amour et le soutien de sa famille. «J’aime beaucoup mon petit frère Lucas», dit-elle, le sourire aux lèvres. D’ailleurs, poursuit-elle, elle souhaite travailler avec des enfants, car elle sait bien s’en occuper : «Je prends bien soin de Lucas et je fais cela bien. J’aimerais apprendre aux enfants à dessiner, à colorier, à travailler de la laine, à faire de la couture et comment travailler sur un ordinateur», précise-t-elle avec enthousiasme. Travailler, Elodie sait qu’elle en est capable. Et ce n’est pas tout. «Je veux me marier et avoir des enfants comme tout le monde», confie-t-elle. C’est son rêve le plus cher.
Comme tous ses camarades atteints de cette maladie génétique qui cause un retard du développement psychomoteur plus ou moins important, Elodie souffre d’un trouble du langage qui rend son parler difficile. Mais lorsqu’elle parle de son petit frère et de ses rêves, son émotion ne ment pas. Les progrès, pour elle, ont été importants au cours de ces dernières années, comme nous l’explique Ferozia Hosaneea, cheville ouvrière de la Down Syndrome Association (DSA) (voir hors-texte), qui connaît et suit Elodie depuis qu’elle est bébé.
Au fil des années, grâce à une bonne prise en charge et à la confiance placée en elle, elle est devenue une personne beaucoup plus extravertie et sûre d’elle. D’ailleurs, Elodie est l’un des visages-phares de l’association. Très bonne danseuse, selon ses amis de l’ONG, elle fait le show à chacune des activités de la DSA et c’est un véritable succès. Elle a également participé à un défilé qui avait été organisé, il y a quelque temps, et a fait la fierté de ses proches et de ceux qui la suivent. «En août, Elodie s’est rendue en Inde avec moi, où elle a représenté Maurice au Congrès mondial de la trisomie 21. C’était une expérience exceptionnelle pour elle. Elle a côtoyé des gens qui, comme elle, sont allés au bout de leurs rêves et cela lui a donné de l’ambition», explique Ferozia Hosaneea.
Le combat de cette dernière pour que les droits des trisomiques, dont l’espérance de vie atteint désormais 50 ans, soient respectés remonte à 36 ans, l’âge qu’a actuellement sa sœur Ferzanah. «Quand ma sœur est née avec ce handicap, je ne pouvais pas l’accepter. C’était très dur. Et puis, quand nos parents sont décédés, j’ai dû m’occuper d’elle. Au cas contraire, elle aurait fini dans un couvent. J’ai appris à comprendre la maladie et qui elle était. Ce sont des personnes très câlines et qui ont besoin d’attention. Elles nous donnent beaucoup d’amour et méritent qu’on se batte pour elles», confie Ferozia Hosaneea.
Pour les proches, il est important d’accepter et de comprendre ce handicap afin de pouvoir avancer ensemble. Le processus est long et ardu. Josiane Migale se souvient encore de la naissance de son Bruno. C’était il y a 34 ans : «J’avais 20 ans. C’était ma deuxième grossesse. Mon premier enfant est mort trois jours après sa naissance. Lorsque Bruno est né, il était très malade. Je savais que quelque chose n’allait pas. Ce n’est que trois moisw plus tard que le médecin m’a dit que mon enfant n’était pas normal. Il m’a parlé de trisomie 21.» Pour la jeune maman qu’elle est à l’époque, c’est le choc. À son bouleversement s’ajoute une tonne de questions qui resteront, pendant longtemps, sans réponse. «Je ne savais rien de ce handicap. Je n’avais d’ailleurs jamais entendu parler de trisomie. On n’avait aucune information. Il n’y avait pas Internet pour faire des recherches», se souvient-elle.
C’est armée de son courage et de son amour de mère qu’elle a affronté les années qui ont suivi. Cela, malgré ses peurs et ses appréhensions. Dès lors, son unique but est d’aider Bruno à grandir et de faire de lui quelqu’un d’indépendant. Cependant, le chemin est souvent semé d’embûches : le regard des autres, leurs moqueries, leurs commentaires déplacés, leurs préjugés et cette intolérance face à la différence. Mais au fil des années, elle a appris à faire fi de tout cela pour se concentrer uniquement sur son fils et son épanouissement. «Bruno a fréquenté plusieurs établissements et aujourd’hui, il va à un Day Care Center de la localité où il passe ses journées à prendre part à des activités. Il est capable de revenir seul à la maison, de se faire un thé et de se préparer à manger», dit-elle avec fierté.
Il y a aussi des moments un peu plus durs pendant lesquels elle doit s’armer de patience. Les trisomiques, souligne Ferozia, sont très capricieux de nature et se lancent souvent dans des crises de cri et des pleurs quand on ne leur donne pas ce qu’ils veulent. Bruno, confirme sa mère, ne fait pas exception à la règle : «Certains matins, c’est la véritable crise de nerfs. Monsieur va refuser de porter les vêtements que j’ai choisis. Il va vouloir ça, puis ça et on ne s’en sort pas.» D’autres fois, c’est l’inquiétude qui la gagne.
Comme tous les parents dont l’enfant est atteint d’un handicap, Josiane a tendance à surprotéger son fils : «Un jour, en allant à l’école, il s’est endormi dans le bus et s’est perdu. J’étais morte d’inquiétude.» Mais ces moments ne valent rien à côté de l’amour qu’il lui donne. Son cœur ne mère ne peut résister devant son Bruno.
Ce dernier, de nature très joviale, est un sacré blagueur qui fait rire toute la bande dès que l’occasion se présente. Une fois, se rappellent sa mère et Ferozia, lors d’un camp organisé par l’association, Bruno s’est attiré les faveurs d’une de ses copines de manière plutôt rigolote. «Nous étions tous descendus du bus et on ne l’a pas vu. Il refusait de descendre. Quand nous sommes montés voir ce qu’il trafiquait, on a eu la surprise de découvrir que monsieur se faisait masser. Il avait dit à la fille qu’il avait mal aux reins. Évidemment, ce n’était pas vrai», se rappelle Ferozia qui n’a pas tardé à mettre fin à ce petit aparté et qui ne peut s’empêcher de rigoler en pensant à cet épisode.
Comme son amie Elodie, Bruno aussi rêve de travailler. «Je veux travailler avec du bois, des pioches, dans un jardin. Faire des légumes», dit-il avec un grand sourire, sous les yeux émus de Josiane. Que son fils devienne autonome et puisse avoir droit à un travail, c’est là tout ce dont elle rêve.
Définie comme une maladie génétique, la trisomie 21, également appelée syndrome de Down, est liée à la présence d’un chromosome 21 surnuméraire. Celui-ci est présent trois fois au lieu de deux fois, d’où le nom de trisomie 21. Les signes se manifestent dès la naissance de l’enfant, avec des malformations morphologiques spécifiques et un retard de développement souvent associé à d’autres anomalies congénitales. On note parmi ceux-ci un trouble de la croissance, avec un visage plutôt rond, un nez dont la racine est aplatie, une langue hypertrophiée qui rend le langage difficile, des yeux bridés, de petites oreilles, mais aussi un retard plus ou moins important au niveau du développement psychomoteur, une diminution du tonus musculaire et une certaine laxité articulaire. L’espérance de vie d’une personne trisomique est aujourd’hui de 50 ans. Le diagnostic de la trisomie 21 peut être posé pendant la grossesse. De plus, les femmes présentant un risque élevé de trisomie peuvent également avoir recours au Test Génétique Non Invasif (TGNI) qui permet d’analyser, à travers une prise de sang, l’ADN fœtal.
À travers le monde, plusieurs trisomiques ont prouvé que cette maladie génétique n’est pas un frein à leur apprentissage et à leur intégration dans le monde professionnel et la société. Celle qui fait la Une ces derniers temps se nomme Madeline Stuart. Trisomique, elle a récemment défilé à la Fashion Week de New York et à celle de Paris ! Devenue une véritable star, elle a d’ailleurs déjà été engagée pour défiler en 2016 lors des Fashion Weeks de Tokyo, Milan et New York. Dans un autre registre, Mathilde, une Française, a séduit le monde des artistes. Cette auteure a publié son premier livre, Je viens de loin, dans lequel elle raconte sa vie en poésie. En France, Pierre-Henri Masson a aussi fait beaucoup parler de lui. À 23 ans, il a gagné le premier prix d’un concours ouvert à des handicapés cuisiniers porteurs d’un handicap mental. La récompense était de passer trois jours dans les cuisines de l’Élysée avec le chef Guillaume Gomez. Il y a aussi Kevin Grow, un jeune Américain de 18 ans, grand basketteur qui a joué pour la NBA des 76ers de Philadelphie. Toutes ces personnes, qui ont trop souvent entendu que les personnes atteintes de trisomie 21 ne peuvent pas espérer faire une carrière, démontrent qu’elles sont à leur place et qu’elles n’ont rien à envier à quiconque.
Cela fait plus de 25 ans que Ferozia Hosaneea et Ally Jookun se sont engagés pour le bien-être des trisomiques. Si c’est sa sœur qui a fait grandir en Ferozia le besoin de s’impliquer dans la cause, Ally Jookun s’est, lui, engagé après le décès de ses deux filles, les jumelles Irfaana et Unraana, qui sont nées avec une infirmité motrice cérébrale et qui n’ont pas survécu à leur handicap. Ils se décrivent comme des travailleurs de terrain, qui vont à la rencontre des trisomiques et de leur famille, qui les prennent en charge, qui les accompagnent et qui militent pour leurs droits. Il y a trois ans, ils ont décidé de créer la Down Syndrome Association (DSA) à travers laquelle ils prônent l’inclusion. Que les trisomiques fassent partie de la société en tant que citoyens à part entière, voilà la philosophie de cette équipe.
S’il a été constaté, au fil des années, que la société a changé son regard face aux personnes porteuses de ce syndrome, il y a encore un besoin d’ouverture face à la trisomie. Outre la prise en charge et l’accompagnement des trisomiques, le rôle de l’association est de les éduquer et de les informer sur leurs droits. Le droit au respect, à la dignité, à la sécurité, aux soins, à l’information, à l’éducation, entre autres. C’est pour cela, explique Ferozia, que la DSA a lancé, vendredi, le Self-Advocacy Club. Cette plateforme, dont Elodie elle-même sera la présidente, aura pour objectif d’éduquer les trisomiques afin qu’ils puissent être informés de leurs droits, qu’ils puissent faire la différence entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, et qu’ils arrivent à se défendre face à l’intolérance. «Face à un regard insistant, par exemple, il faut qu’ils arrivent à surpasser cela et à donner l’information à la personne afin que ce soit elle qui se sente gênée parce qu’elle a regardé et que ça ne soit pas moi qui soit blessé par son regard», souligne Ferozia, également présidente de l’African Down Syndrome Network.
Il y a aussi, dit-elle, la naïveté et l’incapacité des trisomiques à faire la différence entre ce qui est bien ou mal. Selon notre interlocutrice, les trisomiques sont de nature très câline. Ils vont facilement vers les autres et se montrent très vite proches des autres. C’est là aussi, précise cette dernière, que réside tout le danger : «Ils ne sont pas conscients du danger. Ils voient du bien partout et ne se rendent pas compte quand on leur veut du mal. Et là, certains peuvent se mettre à profiter d’eux et à les exploiter.» Le but de l’association est aussi de tirer le meilleur de ces Mauriciens qui ont également du talent et du potentiel. Pour cela, il faut, dit-elle, les empower et leur donner les moyens de réussir, car «ces enfants méritent d’être reconnus».
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