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Par Yvonne Stephen
6 novembre 2025 11:09
«Elle relie le passé au présent, éclaire le futur et garantit que le droit demeure humain, adaptable et équitable», partage le juriste Aurélien Joseph Raoul Oudin, BSc, MBA, LLB. Dans les lignes qui suivent, il évoque la jurisprudence à Maurice et comment elle permet à la justice de bouger avec son temps.
En matière de droit, la jurisprudence est à la fois un guide, un miroir et une mémoire. Elle désigne l’ensemble des décisions rendues par les juridictions et qui, par leur constance ou leur portée, influencent l’interprétation et l’application de la loi. À l’Île Maurice, territoire marqué par un système juridique mixte, la jurisprudence joue un rôle crucial. Héritage du droit civil français et du Common Law britannique, notre système repose sur une alliance subtile entre textes législatifs codifiés et règles dégagées par les tribunaux. Loin d’être une simple répétition de jugements passés, la jurisprudence constitue une construction intellectuelle dynamique. Elle adapte le droit à l’évolution de la société mauricienne, comblant les lacunes législatives et assurant l’équité devant les tribunaux.

1. Fondements de la jurisprudence mauricienne
La République de Maurice puise ses racines juridiques dans un double héritage : le Code civil français de 1804, introduit sous le régime colonial français et maintenu après l’arrivée des Britanniques, et le système judiciaire anglais, qui a instauré les principes du Common Law et de la Doctrine of Precedent (la règle du précédent). Ainsi, la jurisprudence mauricienne s’inscrit dans un modèle hybride : d’un côté, les juges interprètent le Code Civil à la manière des juridictions françaises, en cherchant l’esprit de la loi, et de l’autre, ils respectent la tradition britannique du précédent, où les décisions antérieures servent de référence contraignante ou persuasive. Cette fusion donne à la jurisprudence mauricienne une richesse particulière : elle se nourrit à la fois de la rigueur codifiée du droit civil et de la souplesse évolutive du Common Law.
2. Le rôle des tribunaux dans la formation de la jurisprudence
La jurisprudence naît des décisions rendues par les cours et tribunaux. À Maurice, les principales instances qui façonnent cette source du droit sont : la Cour suprême de Maurice (Supreme Court), gardienne de la Constitution et plus haute juridiction du pays ; les juridictions inférieures (District Courts, Intermediate Court, Industrial Court, etc.) ; et le Privy Council de Londres, juridiction ultime d’appel, dont les arrêts fixent les grandes lignes de l’interprétation du droit mauricien. Ces décisions ont valeur d’exemple et deviennent des références incontournables pour les praticiens du droit, les avocats, les juges et les étudiants.
3. L’autorité de la jurisprudence à Maurice
Contrairement à la France où la jurisprudence n’a pas force obligatoire, à Maurice, sous influence britannique, les décisions supérieures peuvent s’imposer aux juridictions inférieures selon la hiérarchie des précédents. Ainsi, les tribunaux doivent en principe suivre les décisions rendues par une juridiction supérieure dans une affaire similaire. Toutefois, le juge garde une marge d’interprétation, notamment lorsque les faits diffèrent ou que l’équité commande une solution nouvelle. Cette souplesse permet au droit mauricien d’évoluer sans attendre l’intervention du législateur, tout en garantissant une certaine stabilité des décisions.
4. La jurisprudence : un instrument d’adaptation sociale
Le droit n’est pas figé ; il vit et respire au rythme de la société. La jurisprudence mauricienne en est la preuve vivante. Face à des réalités nouvelles - technologie, environnement, cybercriminalité, intelligence artificielle - les textes existants peuvent devenir silencieux. C’est alors que les tribunaux, par leur raisonnement, créent le droit applicable, inspirés par les valeurs de justice, de bonne foi et d’ordre public. Par exemple, en matière de famille, les tribunaux ont précisé les notions de garde partagée ou d’autorité parentale conjointe, parfois au-delà des textes existants. En droit du travail, la jurisprudence a affiné les règles relatives à la faute grave, au licenciement abusif et à la protection du salarié. Dans le domaine constitutionnel, la Cour suprême a renforcé la protection des droits fondamentaux à travers des décisions courageuses.
5. Les limites et les critiques
Si la jurisprudence joue un rôle noble, elle n’est pas exempte de critiques : manque de cohérence entre certaines décisions, difficulté d’accès aux jugements non publiés, et lenteur judiciaire. Pour pallier ces faiblesses, il est essentiel de renforcer la publication systématique des jugements, la formation continue des magistrats et la digitalisation des archives judiciaires.
6. La jurisprudence et l’avenir du droit mauricien
L’île Maurice, état de droit et plateforme juridique régionale, doit continuer à consolider sa tradition jurisprudentielle. La création d’une base de données nationale des jugements, accessible au public et aux praticiens, renforcerait la sécurité juridique et la confiance dans le système judiciaire. De plus, à l’heure de la mondialisation du droit, la jurisprudence mauricienne s’enrichit aussi des décisions étrangères : européennes, africaines ou internationales, dans un dialogue constant des cultures juridiques.
Conclusion : Le souffle vivant du droit
La jurisprudence mauricienne n’est pas seulement un outil d’interprétation ; elle est le souffle vivant de la justice. Elle relie le passé au présent, éclaire le futur et garantit que le droit demeure humain, adaptable et équitable. Dans une société en mutation rapide, elle constitue un pilier essentiel pour la stabilité, la cohérence et la protection des libertés.
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