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Résidence Richelieu

L’âme d’un quartier, l’art d’un regard !

19 juin 2025

Photos : SD et Collectif NOU

Retour dans ce village non loin de la capitale, où des projets routiers ont métamorphosé l’environnement. Oui, l’année dernière, lors d’un reportage suite à de fortes pluies ayant inondé plusieurs régions de l’île, Richelieu avait été durement touchée. Pour certains habitants vivant en bordure du terrain de l’Agriculture, c’était le début d’une reconstruction totale. Cette fois, nous y revenons pour flâner dans les rues désormais bien sèches, où la dynamique des lieux se conjugue avec celle de ses habitants, qui vivent ici comme dans une grande famille. L’actualité du jour est artistique, portée par une mission sociale. Du 31 mai et au 13 juin, l’IFM a accueilli l’exposition Résidence à Richelieu, un projet du Collectif NOU, en collaboration avec l’ambassade de France à Maurice, l’Institut Français de Maurice (IFM) et le Centre d’Étude du Développement Territorial Indo-Océanique (CEDTI). Une exposition que le village en question devrait également accueillir en juillet. En attendant, nous avons arpenté ses ruelles façonnées par le courage et les épreuves. Certains s’y sont installés dans les maisons d’antan construites par la Central Housing Authority (CHA) à la suite des deux cyclones de 1960, Alix et Carol, tandis que d’autres y ont trouvé refuge après avoir fui les bagarres raciales de 1968. Des événements marquants qui ont forgé l’âme de cette cité devenue résidence, où tous vivent aujourd’hui dans une harmonie collective. Et à travers les voix de ceux qui y vivent, nous redécouvrons une résidence pas comme les autres…

Kevin Pyneeandee est le directeur et co-fondateur du Collectif NOU, qui œuvre à ancrer l’architecture dans le contexte local, avec une forte vocation sociale. «L’architecture à Maurice n’est malheureusement pas considérée à sa juste valeur. Les gens connaissent peu le rôle et l’importance d’un architecte avant tout projet. Zot panse ki nou zis fer bann vila de lux ! Pourtant, l’architecture, c’est aussi comprendre l’urbanisation, le changement climatique, le quotidien des gens. À travers ce projet à Résidence Richelieu, nous avons mené pendant près d’un an une analyse territoriale, rencontré des habitants victimes d’inondation et mis à contribution nos outils d’architectes. Même si 95 % des maisons à Maurice ne sont pas faites par des architectes mais par des dessinateurs, nou’nn trouv bann solision inovan lor terin, bien à la mauricienne ! Cette débrouillardise donne parfois lieu à des idées étonnantes. À travers cet axe de recherche centré sur les inondations, notre but était clair : résoudre un problème concret. Toutes les données recueillies permettront désormais de mieux anticiper les dégâts. Il faut que chaque ministère concerné travaille ensemble avec rigueur. Ce sera aussi un document utile pour la NHDC, par exemple, afin de repenser les logements pour les 5 à 10 ans à venir. Plutôt que de toujours compter sur l’expertise étrangère, nous avons écouté la communauté. Ces personnes, qui vivent ici depuis plus de 50 ans, ont souvent plus de solutions que nous. Cette aventure à Richelieu nous a révélé des trésors, aussi bien architecturaux qu’humains. L’exposition a également attiré l’attention de partenaires comme l’AFD, qui travaille sur le captage d’eau. En attendant le rapport prévu pour dans un mois, nous préparons déjà une version mobile de l’exposition, que nous ramènerons dans le quartier en juillet. L’objectif : que chacun puisse non seulement comprendre la valeur de ces données, mais aussi être fier de sa localité. Il faut créer des activités, rassembler les gens, contrer les fléaux qui rongent notre société.»

Après le cyclone Hollanda en 1999, Richelieu a vu la création de nouvelles maisons par la NHDC, connues sous le nom de Résidence Flamboyant.

À la rue Winston Churchill, une maison en tôle a gardé toute sa fraîcheur. Velinda François se souvient encore de la bagarre raciale qui a poussé sa famille à quitter Cité Kennedy pour s’installer à Richelieu. «Mo ti ankor ena 4 an et il fallait que nous cherchions nous-mêmes une maison où habiter. C’est une tante qui nous a conseillé de prendre enn lakaz dan kontour, ce qui voulait dire un terrain plus grand, n’étant pas encore clôturé. Les maisons de la CHA étaient majoritairement vides : les victimes des cyclones Alix et Carol ne voulaient pas quitter la capitale pour venir vivre dans un petit village. En face de chez moi, il y avait une plaine où nous aimions jouer et à côté, une maison qu’on appelait lakaz vev, transformé en école pour les petits. Nous vivions joyeusement. D’ailleurs, les locaux de l’Agriculture, toujours là, était un point important : nous allions acheter du lait de vache frais, des légumes et ma maman vendait même ses chapeaux en paille fabriqués avec des feuilles de vétiver et de l’aloès. Beaucoup de villageois faisaient de l’élevage de bétail ou cultivaient des légumes. Kot mo mem ti ena 7 pie mang ! La vie a bien changé maintenant mais c’est ce qu’on appelle l’évolution. Pa kapav fer nanie. Le béton a remplacé les arbres. À travers cette exposition, nous pouvons voir les aspects positifs et négatifs de notre village. De simples gouttes de pluie provoquent plus de dégâts qu’un cyclone. Ban zenn zordi pa konn vre siklonn ! Kot mo mem, delo ti mont ziska zenou, c’est beaucoup de dépenses. J’ai dû installer une décharge d’eau connectée à mon man-hole. Il faut dire qu’avant, les constructions étaient faites dans l’urgence et par nécessité, ti fer vit ek brit. Je souhaite que les jeunes apprennent à respecter les normes de construction et comprennent l’utilité des espaces verts. Il faut une sensibilisation et une discipline.»

À l’abandon, le terrain du ministère de l’Agriculture à Richelieu est devenu un véritable dépotoir à ciel ouvert.

Quand nous arrivons près de la pâtisserie populaire du quartier, nous apercevons Manuel Quatre Bornes, qui, depuis six mois, occupe le poste de président du village de Richelieu. «Depi tipti mo res isi. Ma famille et moi sommes sortis de Quatre-Bornes pour venir habiter ici en 1974. C’était difficile de quitter une ville pour une localité sans grands développements. La seule distraction qui m’a marqué, c’est le Club de Football, où il y avait un poste de télévision, le point de rencontre de tous. À l’époque, il n’y avait même pas d’arbres. Ti ena zis later partou ek ti fer so ! Mo finn mem gagn lagal. Il y avait beaucoup de maisons CHA libres ; d’ailleurs, beaucoup en occupaient une puis allaient en prendre une autre plus loin, jusqu’à ce que les papiers soient signés et qu’ils doivent débourser Rs 12 par mois. Petit à petit, les habitants ont commencé à planter, à rendre le coin plus harmonieux. De l’autre côté du chemin, il y avait les champs de canne. Je me souviens : pendant les vacances, ti pe al plant latet kann pou Rs 15 zourne, juste pour s’acheter des chaussures North Star. À l’heure des grands matchs de foot, cela ajoutait au folklore du village. Les jeunes trouvaient toujours quelque chose à faire : ti ena bann zwe kouma kapsul, fer patinet. On inventait et créait nos propres jeux. Pa ti gagn letan pans ladrog ! Avec le temps il y a eu beaucoup de développements et les rues sont mieux éclairées. Le seul hic, c’est l’entretien qui n’est pas régulier et ces terrains vagues remplis de saletés, un vrai eye-sore ! Grâce à ce projet du Collectif NOU, nous avons désormais un plan durable pour l’avenir. Il faut repenser les espaces, surtout la route, avoir une vision à long terme pour éviter les dégâts causés par les fortes pluies et un mauvais système de drains. À trop asphalter nos espaces, la terre n’absorbe plus. Il faut que les aides des autorités suivent. Même pour organiser un tournoi de foot, nous nous débrouillons. Nous ne cherchons pas à devenir une smart city, mais voulons juste que notre environnement reste sain et sécurisé pour tous. Nous le méritons ! D’ailleurs, l’endroit compte des élus comme Ariane Navarre-Marie, Kungan Parapen et Fabrice David qui peuvent faire bouger les choses ! Par exemple, depuis la construction du métro, la Richelieu Branch Road, appelée l’allée des flamboyants, a été fermée. C’était un passage rapide pour rejoindre Coromandel. Maintenant, il faut prendre deux bus.»

À 83 ans, Sylvie Bheeka s’occupe toujours de son jardin : «C’est très important d’avoir un espace vert, même petit.»

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