Publicité
Par Yvonne Stephen
21 juin 2025 18:45
Les critiques fusent de toutes parts. Mais pourquoi le parti qui se dit de gauche semble-t-il être une cible facile ?
Des ailes qui se sont déployées. Et ont été porteuses d’espoir et de changement au sein d’une alliance électorale qui, à l’issue d’un historique 60-0, devait former le nouveau gouvernement. Ces ailes, celles du papillon (symbole de Rezistans ek Alternativ - ReA), fragiles parchemins d’idéaux, n’ont pas résisté aux blessures qui viennent avec l’exigence du pouvoir. Le parti subit le feu des critiques, ses détracteurs.es estimant qu’il a renié l’essence même de son existence : des valeurs ancrées à gauche avec une attention particulière pour laklas travayer. Au cœur des reproches, la réforme visant à repousser l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans. Mais pourquoi ReA semble-t-il être la cible principale des attaques alors qu’il n’est que minoritaire au sein d’un gouvernement, responsable de cette décision ?
C’est le Premier ministre Navin Ramgoolam qui a annoncé que l’octroi de la Basic Retirement Pension (BRP) se ferait désormais à partir de 65 ans, au lieu de 60 ans, dans le Budget 2025-2026, provoquant une intense levée de boucliers. Ashok Subron, ministre de la Sécurité sociale et principale porte-parole de ReA, l’a dit au Parlement, cette semaine, il était au courant de cette réforme des pensions qu’il juge nécessaire. Il défend ainsi l’indéfendable – du moins aux yeux de ceux qui contestent la réforme. Pour Olivier Précieux, observateur social et politique, c’est son ancrage à gauche revendiqué et affirmé qui fait que ReA se retrouve au centre même de la polémique. Rezistans se devait d’être, dans l’esprit des gens, une sorte de caution morale, un rempart pour les travailleurs.
«En France, ceux de gauche sont opposés à la réforme des retraites ; ça semble couler de source. ReA met en avant ces valeurs qui appartiennent à ce bord politique ; le militantisme, le syndicalisme. Alors, son positionnement, aujourd’hui, semble être contre-nature, ce qui explique pourquoi le parti et ses élus font face à autant de critiques», explique l’enseignant en sociologie. Le fait que le ministère qui devra mettre en place cette réforme et ces changements soient celui d’Ashok Subron n’aide pas. Et que ReA soit un jeune parti* «peu habitué à la communication politique» *aussi, poursuit notre interlocuteur qui est d’avis que si le gouvernement avait misé sur des consultations, la pilule amère serait passée plus facilement.
Malgré tout le bruit autour de la réforme des retraites, on rassure du côté de ReA ; le combat pour les travailleurs, pour les plus démunis est dans l’ADN du parti. D’ailleurs dans un communiqué signé David Sauvage et Stefan Gua, la formation politique a pris position de façon nuancée (voir hors-texte). Le parti salue certaines mesures fiscales du Budget mais critique le manque de consultation concernant la réforme des pensions et appelle à la mobilisation citoyenne. Un statement qui n’a pas pris à contre-pied les trois élus de ReA, Ashok Subron, Kugan Parapen et Babita Thanoo, qui, au Parlement et ailleurs, essaient par tous les moyens de faire comprendre leur position (voir ci-contre). Position déjà mise à mal depuis l’exercice de nomination au sein de la National Empowerment Foundation (NEF) (avec, sur le panel, des membres de Rezistans).
Néanmoins, à l’intérieur même du parti, les opinions divergent et s’expriment, mais pas ouvertement. Les pressions externes rendent le sujet délicat. On évoque la nécessité d’une réforme de la pension, oui, mais pas au détriment des travailleurs. Il est question de révolte pressante, d’actions réfléchies… Mais, on garde espoir, il est bien trop tôt pour faire s’envoler le papillon : il y a la possibilité de mieux faire, ReA peut encore faire la différence, le parti a toute sa place au sein de ce gouvernement…
Ashvin Gudday, négociateur syndical et membre de ReA, a lui, décidé de continuer à lutter, pas contre son parti, mais contre cette mesure. La pension à 60 ans est un droit acquis et il ne faudrait pas toucher à cela. Les sacrifices peuvent se faire ailleurs : «Je lutte farouchement pour préserver le BRP à 60 ans au nom de la General Workers Federation (GWF).» Il a d'ailleurs invité les Mauriciens.nes à se rendre à la marche de contestation qui a eu lieu ce samedi 21 juin, à Port-Louis : «Le message est clair : le gouvernement se doit de maintenir le BRP à 60 ans.» Son engagement farouche pour les droits des travailleurs, il le revendique : «Je me suis pleinement lancé dans la bataille même si ça peut agacer mes amis.» Reste à savoir si les divergences d’opinion peuvent s’accompagner de sanction et/ou d’ostracisme chez ReA, comme dans les partis traditionnels. On assure que non chez les Papillons.
Au sein du gouvernement, cette liberté d’être et de penser a ses limites, et le parti qui se dit de gauche l’a bien compris. Si ReA veut conserver sa place, il devra, peut-être, changer la nature de ses ailes…
**Un communiqué, des explications **
ReA a fini par s’expliquer sur son positionnement concernant l’âge pour toucher la BRP. Le parti – à travers les voix de Stefan Gua et de David Sauvage dans un communiqué– a salué certaines mesures budgétaires alignées avec ses propositions de longue date, telles que la hausse des taxes sur les hauts revenus et profits, les restrictions imposées aux Smart City Schemes. Par contre, le parti a exprimé des réserves concernant la réforme de la BRP, disant comprendre la colère des citoyens. Il a estimé que cette décision, aux répercussions profondes sur la société, aurait dû faire l’objet de consultations publiques plus larges. ReA a insisté sur la nécessité pour les Mauricien.nes de se mobiliser afin de défendre leurs acquis sociaux.
**Au Parlement : sacrifice pour l’avenir… **
Un système de pension jugé «insoutenable». C’est ainsi que le Premier ministre Navin Ramgoolam a justifié au Parlement le relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à la BRP. Selon lui, cette réforme est dictée par la crise provoquée par les «politiques irresponsables» du précédent gouvernement. Il s’appuie sur un rapport du FMI estimant que les dépenses de pension atteindront 8 % du PIB d’ici 2050. Deux comités ont été mis en place, l’un présidé par Ramgoolam lui-même pour accompagner les plus vulnérables. Le chef du gouvernement a pris la parole au Parlement, lors des débats budgétaires qui se sont tenus cette semaine.
Ashok Subron, ministre de l’Intégration sociale, a lui, défendu une réforme «inévitable». Bien qu’il ait mené des luttes pour préserver l’âge de 60 ans dans le passé, il a affirmé que la réforme est une «réalité démographique et budgétaire inévitable». «Je suis un gauchiste, et je mourrai gauchiste. Mais des faits objectifs doivent être pris en compte», a-t-il lancé. Il a souligné la nécessité d’exceptions pour les travailleurs des secteurs pénibles, et reconnaît l’absence d’étude d’impact, tout en promettant des mesures de soutien avant la mise en œuvre en septembre.
Kugan Parapen a appelé, lui, à revoir les privilèges des parlementaires, soulignant l’injustice de demander des sacrifices aux plus précaires sans exemplarité politique : «Je trouve difficile de demander à un travailleur touchant le salaire minimal de sacrifier quelques années supplémentaires alors que nos privilèges demeurent intacts.» Le ministre du Travail Reza Uteem a évoqué un coût insoutenable (25 % des dépenses de l’État), critiqué la fin du NPF au profit du CSG et annoncé des Assises du travail en septembre. Véronique Leu-Govind a, elle, mis en avant les femmes au foyer, qualifiées d’«héroïnes invisibles» et assume l’impopularité de la réforme : «Je préfère un gouvernement impopulaire mais intègre à un gouvernement populaire mais voleur.»
Publicité
Publicité
Publicité