Le petit-fils du ségatier Antoine Toussaint, son épouse Marilyn et leur fille Cheyenne sont très fiers de héritage qu’il leur a laissé.
Avec ses deux acolytes Marclaine Antoine et Serge Lebrasse, Tifrer a passé de nombreuses soirées à chanter le séga
dans sa résidence à Quartier-Militaire.
Au XXe siècle, il chantait les déboires de la vie. Plus de 20 ans après sa mort, sa musique fait toujours vibrer. Pour rendre hommage à cet artiste devenu une figure emblématique du séga mauricien, un livre-CD inédit a été lancé par le Blue Penny Museum. À cette occasion, ses proches témoignent…
Une voix. Une mélodie. Un rythme. Une identité. Un grand homme devenu une légende et qui sait réveiller en nous, grâce à sa musique, le sentiment d’être mauricien. Tifrer est tout cela et bien plus encore. Vingt et un ans après sa mort, ses chansons et son souvenir demeurent impérissables et résonnent encore dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Avec son triangle, ses mélodies enjouées et ses chansons relatant les hauts et les bas du quotidien, Alphonse Ravaton, dit Tifrer, a su marquer de son empreinte la musique locale jusqu’à devenir le père du séga mauricien. Anita, Papitou, Charlie O, Lagren Kafe, Ma Bolema, Bare ala mo vini… ce sont autant de chansons qui sont inscrites à jamais dans l’histoire du pays faisant de ce petit homme à la voix rauque, conteur d’histoires, un pilier du patrimoine culturel mauricien.
Pour assurer sa pérennité et rendre hommage au grand homme qu’il était, un livre-CD, intitulé Tifrer, Nou Gran Frer, a été lancé mardi par le Blue Penny Museum. Un ouvrage inédit qui permettra de redécouvrir l’histoire et la vie du ségatier à travers des textes de Jean-Clément Cangy, Marsel Poinen, Sedley Assonne et Ananda Devi. Outre une série de photos de Tifrer et une retranscription des paroles de ses chansons les plus connues qui ont été aussi traduites en français, cette œuvre, en vente à Rs 1 250, contient également un CD de 22 chansons, dont huit totalement inédites.
Reconnaissance
Un ouvrage exceptionnel qui a été imaginé, il y a plusieurs années, par Emmanuel Richon, conservateur au Blue Penny Museum, qui s’est toujours étonné qu’aucun ouvrage ne soit consacré au père du séga. «Le langage de la musique est universel et pour moi, Tifrer est une immense personne, un continent. Sa musique est une réparation, une reconnaissance. C’était un devoir pour moi de veiller à ce que personne ne l’oublie», a déclaré celui qui a travaillé sur ce projet pendant quatre ans, lors de la soirée de lancement du livre-CD qui avait réuni plusieurs artistes locaux ainsi que les descendants d’Alphonse Ravaton.
En tenant cet ouvrage entre les mains, Antoine Toussaint, petit-fils de Tifrer, ne peut retenir l’émotion qui le submerge. Il garde, dit-il, un souvenir impérissable des années durant lesquelles il a eu la chance de côtoyer quotidiennement son grand-père dans la demeure familiale à Quartier-Militaire. «Aujourd’hui, je ressens beaucoup de fierté. Je suis très heureux que son art soit reconnu. Ses chansons sont souvent jouées, mais très peu d’entre elles font référence à leur créateur. Aujourd’hui, ce livre lui rend hommage», confie-t-il.
Dans les souvenirs de Marilyn, l’épouse d’Antoine, c’est l’image d’un Tifrer blagueur, qui aimait les bons petits plats et le whisky, qui revient. Elle se rappelle aussi d’un épisode qui l’a marqué à jamais : «Quand je me suis mariée, c’est moi qui m’occupait de lui. Je l’ai fait pendant neuf ans. Il était déjà très âgé et avait perdu la vue. Mais un jour, il m’a dit qu’il voulait voir mes deux enfants. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais en l’espace de quelques secondes, il a pu les apercevoir.»
Cheyenne, 17 ans, est la de troisième génération d’Alphonse Ravaton. «Je suis née le 17 juin, soit le jour de sa mort. Je pense que c’est pour cela que je me sens proche de lui», confie-t-elle. Son père Antoine et sa mère Marilyn lui ont toujours beaucoup parlé de son arrière-grand-père, un homme spécial. C’est à travers leurs souvenirs et ses chansons qu’elle a appris à le connaître : «Je suis très fière de sa musique et de l’héritage qu’il nous a laissé. Comme moi, aspire à ce que le monde entier connaisse Tifrer et lui rende hommage.»
Marclaine Antoine et Serge Lebrasse, mémoires vivantes du séga, ont eux aussi été très proches de Tifrer durant de nombreuses années et pourraient rester des heures à parler de lui. La demeure familiale des Ravaton à Quartier-Militaire, a été témoin de leurs nombreuses fiestas qui finissaient toujours au son de la ravanne et du triangle de leur hôte. «Les samedis soir, j’étais toujours chez lui. Il fournissait les gajacks et moi j’apportais le rhum», confie Marclaine Antoine en riant. Celui-ci se souvient d’un Tifrer bon vivant, d’un conteur d’histoires, mais aussi d’un grand chasseur de zako qui adorait raconter ses prouesses : «Si je voulais en manger, je savais que je n’avais qu’à me rendre chez Tifrer.»
Serge Lebrasse a, lui, vécu dans la même cour que Tifrer, partageant de nombreux instants de vie avec l’artiste. «Chaque matin, la première personne que je voyais, c’était lui», dit le grand ségatier qui avait 15 ans lors de sa première rencontre avec Tifrer : «Il allait à la chasse le dimanche et je l’accompagnais. On nous appelait les meter choula. Pendant le déjeuner, Tifrer chantait et jouait de la ravanne. C’est grâce à lui que je suis devenu ségatier. C’est lui qui m’a inspiré.» Comme pour Serge Lebrasse, Tifrer est encore aujourd’hui source d’inspiration pour la nouvelle génération. Il le sera encore, sans aucun doute, pour celles à venir qui se rappelleront toujours que sa musique est un héritage qu’il a laissé à toute une nation.