Visham Boodhoo a dans son commerce uniquement des produits qui s’écoulent facilement.
Désormais, Mila Jootun vend principalement des gâteaux.
Le surendettement aurait poussé Nizam Tengnah à commettre l’irréparable. Ce boutiquier n’arrivait plus, dit-il, à joindre les deux bouts. Ce fait divers amène une question des plus pertinentes : face à la concurrence des hypermarchés, comment les boutiquiers arrivent-ils à survivre aujourd’hui ?
Un peu sombre, un peu mystérieuse. Cette laboutik du coin de la rue était toujours poussiéreuse, toujours remplie de mille et un trésors. Ce petit commerce où il faisait bon glisser les doigts dans les balles de riz quand le boutiquier avait le dos tourné. Cet endroit magique où, avec quelques roupies, on pouvait se sentir riche étant enfant – quelques bonbons lagomme, un ou deux piaow et un paquet de poppies suffisaient amplement. Néanmoins, ces boutiques sont de moins en moins nombreuses. Pour faire fonctionner leur petit business, les propriétaires doivent se réinventer et trouver des astuces. Mais cela ne suffit pas toujours.
Pour tenir la tête hors de l’eau, certaines familles contractent des dettes. Et la belle histoire de la boutique du coin de la rue peut vite tourner au cauchemar. C’est ce qui serait arrivé à Nizam Tengnah, le propriétaire du Royal Store. Incapable de repayer son emprunt et sous la menace de la saisie de sa maison (c’est du moins ce qu’il a expliqué dans sa déposition), il aurait tué sa femme, essayé d’en faire de même avec sa fille et tenté de se suicider, la semaine dernière. Une histoire qui a secoué tous les propriétaires de ces petits commerces de proximité. «En quelques années, notre travail est devenu de plus en plus dur. C’est un combat quotidien», confie un propriétaire du Sud.
Superettes, supermarchés, hypermarchés et autres centres commerciaux ont asphyxié petit à petit son affaire. Comme celles de beaucoup d’autres. «J’attends que mes enfants finissent l’école et, ensuite, je ferme», poursuit notre interlocuteur. Il n’est pas rare de croiser une boutique, volets fermés, portes condamnées… Un souvenir d’un autre temps. Parfois, certains de ces petits commerces connaissent une autre destinée : un local en tôle se transforme en supermarché. Mais elles sont rares ces ascensions fulgurantes. Donc, en général, les boutiquiers se «démerdent» à coup de bonnes idées !
C’est le cas de Mila Jootun, propriétaire de Jootun Store à Plaisance. Cette mère de famille a abandonné l’idée d’avoir une vraie boutique avec une centaine de produits : «J’ai commencé comme ça, pourtant. Des surgelés, des produits de consommation courante… J’avais tout ici.» Mais, au fil des années, avec la perte de clients réguliers, elle a changé sensiblement de trajectoire. Elle se contente désormais de vendre des «gâteaux» en tout genre et quelques produits de base (de l’huile, quelques boîtes de conserve, du lait) : «Il y a trois écoles aux alentours. Alors, les enfants viennent ici.»
Elle a dû s’adapter à son environnement, cibler sa clientèle afin que son business survive. Du vrai marketing à petite échelle ! Et Mila n’hésite pas à ruser : «Des fois, j’achète des produits en promotion dans les supermarchés et je les revends. Ils sont moins chers que si je les achetais avec des fournisseurs.»
Plus populaires
À Quatre-Bornes, au Store qui existe depuis 15 ans, Visham Boodhoo s’est, lui, limité à quelques marques : «Les plus populaires, celles qui se vendent le mieux.» Car, il est difficile d’acheter aux fournisseurs dix items pour un produit «alors que les hypermarchés passent de grosses commandes». «Comment faire quand la date d’expiration approche si on en achète un trop grand nombre?», se demande-t-il.
Il mise sur des valeurs sûres. «Une nouveauté ? Je ne vais pas m’aventurer à en acheter», explique le jeune homme qui a repris le commerce familial, il y a six ans. De toute façon, plus personne ne vient faire ses commissions du mois dans une boutique : «S’il manque quelques articles, nous sommes là. Mais c’est tout.» Et le crédit est une pratique de plus en plus délaissée : «Uniquement pour les clients de longue date. Ce n’est pas évident de faire confiance aux nouveaux acheteurs.» Menon Ramasawmy, gérant de la Tabagie des amis à Pamplemousses fait face, également, à ces difficultés : «Nos prix ne sont pas les mêmes que ceux des grandes surfaces de toute façon. Les fournisseurs ne nous proposent pas les même deals. C’est difficile dans ce cas de faire face à la concurrence.»
Ce qui sauve le business familial, c’est la vente du pain, le matin, et le Bar du jardin, que Menon et les siens opèrent : «Je suis debout, tous les jours, à 5 heures du matin.» Pas de jours de congé ni de longues vacances en famille : «Il faut tout le temps que quelqu’un se charge de la boutique.» Pour lui, comme pour Mila et Visham, c’est le travail qui sauve leur affaire : «On est ouvert tous les jours. On ne compte pas nos heures de travail. Il faut toujours bosser plus afin de pouvoir s’en sortir.» Et, il le sait, l’avenir des petits commerces est un peu sombre…