Malgré le soleil de plomb, elles étaient nombreuses à se déplacer pour passer leur message.
Les proches des femmes décédées depuis le début de l’année dans des circonstances tragiques ont pris la parole.
Elles sont venues pour témoigner, dénoncer, soutenir… Mais certaines étaient aussi là, pour raconter leurs malheurs.
La force du chagrin. La perte d’un être cher brise et anéantit. Mais la souffrance peut, parfois, révéler une puissance insoupçonnée. Face à une foule venue pour protester contre la violence domestique, les parents des quatre femmes décédées dans des circonstances tragiques ces dernières semaines, se sont exprimés avec leur cœur et leur tristesse. Des mots forts pour parler de leur tragédie respective et qui ont trouvé écho dans le cœur de nombreuses personnes présentes. Certaines étaient là – des hommes, des femmes, des anonymes, des personnalités – afin de rendre hommage aux femmes victimes de violence. D’autres avaient besoin, elles aussi, de faire part de leurs maux.
Dans les cœurs, l’orage gronde, alors que dans le ciel, le soleil a décidé de ne pas s’amuser avec les nuages. Il est aux alentours de midi au Champ de Mars. Là où l’opération ruban blanc a lieu, là où les indignés se sont donné rendez-vous en ce mercredi 19 février, à l’initiative de la ministre Mireille Martin et de son ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille, avant de se diriger vers le centre de la capitale. Quelques femmes brandissent leurs protection orders, d’autres scandent des slogans contre la violence, des étudiantes laissent parler leurs pancartes… Les proches de Selvina Seeneevassen, 26 ans, Jayshree Sohun, 35 ans, Rachel Rose, 22 ans, Deepa Takoordyal, 33 ans, les quatre femmes dont la mort a fait la une des médias depuis le début de l’année, s’épanchent…
Vague d’émotions. Intenses. Patricia Rose dit «non» à la violence qui a emporté sa fille : «Il ne faudrait pas qu’il y ait une autre Rachel qui perde la vie dans de telles circonstances.» Malgré la douleur et le désespoir, le besoin de dénoncer et de protéger d’autres personnes est là. Comme si la perte de sa fille lui conférait une mission : «Il faut refuser la violence, toutes les formes de violence.»
Dans ses mains, une photo géante de sa fille. Souriante. Belle. Pleine de vie. Incapable d’oublier ce visage, incapable d’oublier sa douleur, Patricia Rose craque : «Je n’arrive pas à croire qu’elle n’est plus là.»Comme Collen Manaroo, le père de Selvina, Jayanta Ramlochun, la mère de Deepa, et Jantee Seeratun, la maman de Jayshree. Et c’est pour les soutenir tout en dénonçant la violence conjugale qu’Indira Bhugun s’est rendue à cette marche : «Je pense aux enfants que ces femmes ont laissés derrière elles. C’est terrible.» Rina Jootun également. Au-delà de cette violence, dit-elle, qui a détruit des familles, il faut aller au cœur des problèmes qui secouent la cellule familiale : «Il faut recommencer à communiquer, à échanger… C’est nécessaire pour préserver l’institution la plus importante de notre société.»
Des causeries, des campagnes de sensibilisation, des ateliers de formation, il faudrait œuvrer sur tous les tableaux afin de réduire la violence : «Et il faudrait freiner cette course au matérialisme. Ça nous empêche de nous centrer sur les valeurs de nos anciens. Des valeurs importantes.» Soutenir la cause, faire avancer le débat, montrer leur soutien, nombreuses sont ces personnes qui étaient présentes pour ces raisons en cette occasion. Mais dans la foule, il y avait aussi celles qui souhaitaient faire part de leur drame. Parmi elles, Ginette Jearally.
Divorcée depuis plusieurs années, elle se bat pour obtenir une pension alimentaire et pour pouvoir voir régulièrement ses enfants, dit-elle (trois d’entre eux vivent avec leur papa). «Ma petite dernière vit avec moi. Mais la dernière fois que j’ai souhaité voir mes enfants, leur papa m’a violentée», allègue-t-elle. Elle connaît, dit-elle, l’horreur de la violence physique : «On croit mourir.» Loretta Frappier sait de quoi elle parle. Cette travailleuse sociale dit être victime de la violence de l’une de ses proches. C’est pour parler de son enfer et pour soutenir les familles qu’elle est venue du Sud, ce mercredi. Malgré les dépositions à la police, elle vit dans la peur : «Chez moi, je vis enfermée et quand je sors, j’ai besoin de faire très attention.»
Face à cette violence, elle ne sait pas comment réagir. Face aux coups, elle ne voit plus comment se protéger. Alors, elle a décidé de sortir du silence. De faire face à son chagrin et à son impuissance…