Micheline, Ivonia, Lina et Jocelyne sont heureuses de reprendre la pêche après deux mois de fermeture.
Marie Dany François, la grande gagnante, en plein action.
Ils étaient nombreux, hommes et femmes, à se lancer à l’assaut des poulpes peuplant le lagon rodriguais, lundi, à la réouverture de la pêche aux ourites. Pour certains, la prise était bonne, pour d’autres moins. Rencontre avec des Rodriguaises qui font ce métier pas toujours facile…
Port-Sud-Est, Rodrigues. 9 heures du matin. Ciel bleu, soleil de plomb, brise légère. La plage semble s’étendre à l’infini, du moins jusqu’aux récifs, tant la marée est basse. L’étendue de sable est parsemée de petits groupes de gens qui s’avancent vers le rivage, les bras chargés… d’ourites. Des dizaines et des dizaines de poulpes fraîchement pêchés lors de ce premier jour de réouverture de la pêche aux ourites, le lundi 7 octobre. Et des pêcheurs plus ou moins ravis de cette première sortie en mer depuis deux mois.
Parmi, des femmes, beaucoup de femmes, puisque la pêche de cet animal marin à Rodrigues est un métier très féminin qu’on fait de mère en fille. Micheline Jabeemessur, 57 ans, est de celles-là. Issue d’une famille de pêcheurs de poulpes, cette habitante de Camp Paul s’est jetée à l’eau à l’âge de 15 ans. Depuis, elle ne s’est plus arrêtée. En ce matin d’octobre, elle a revêtu sa tenue de combat – short arrivant jusqu’aux genoux, parka jaune, bottes et chapeau de paille. Dans une de ses mains, un sac rempli d’ourites et dans l’autre, plusieurs harpons ayant servi à capturer les petites bêtes à tentacules.
Sur son visage buriné se lisent une certaine satisfaction et beaucoup de fatigue. «Je suis contente de mes prises aujourd’hui, j’ai eu au moins 25 livres d’ourites. C’est pas mal du tout. C’est une bonne chose qu’on ait clôturé la pêche pendant deux mois, cela a permis aux ourites de se multiplier et aussi de bien grossir», confie cette maman de neuf grands enfants, qui est aussi plusieurs fois grand-mère. Ce matin, elle a dû se réveiller à 3h30 pour se préparer, puis sortir à 4h30. À 5 heures, elle est partie en pirogue en mer, avec les autres pêcheurs, à la recherche de la fameuse bête. La pêche à l’ourite se fait ensuite à pied, à marée basse. «Nou bizin rod lacaz ourite apré nou piké, se pa enn metier facil. Parfwa gagné, parfwa pa gagné. Avek fermtir la pes, nu trouv enn sanzman positif. Malerezman ena froder ki continie lapes pendan fermtir», regrette Micheline.
Ivonia Ravina, 41 ans, s’insurge elle aussi contre ces «malhonnêtes» qui ne font pas le jeu et continuent d’aller «piquer» des ourites pendant la période de fermeture qui a commencé le 5 août. Mais elle est tout de même bien contente d’avoir pêché «au moins 32 livres» de poulpes en ce lundi matin. «J’espère que le reste de la saison sera aussi favorable. En tout cas, c’est vrai qu’on voit un changement avec la fermeture de la pêche, il y a plus d’ourites et ils sont beaucoup plus gros», lance celle qui fait ce travail depuis au moins 20 ans et dont les six frères et six sœurs font tous le même métier. Munie d’un sac bien rempli, elle s’en va vers les banians pour vendre ses prises.
Des banians, femmes elles aussi : Dolores Clair et Gina Samyue. L’une assise sur un seau renversé à l’ombre des arbres, devant une balance, l’autre debout avec un carnet de comptes à la main. Devant elles, des kilos et des kilos de poulpes. Pourtant, elles ne sont pas totalement satisfaites. «On a eu beaucoup d’ourites mais on aurait pu avoir plus, malheureusement les fraudeurs sont passés par là avant la réouverture officielle de la pêche», affirme Dolores, occupée à peser les bêtes que les pêcheurs lui présentent.
Travail difficile
Décidément, ces fraudeurs ont fait bien des mécontents cette année. C’est aussi le cas de Lina Ernest, 53 ans. Cette habitante de Petite Butte, où a d’ailleurs eu lieu la cérémonie officielle marquant cette deuxième réouverture de la pêche aux ourites, ne décolère pas contre ceux qui auraient, dit-elle, pêché beaucoup de pieuvres la veille. La privant, ainsi que les autres pêcheurs, de quelques bonnes prises le matin même. «Ils ont déjà pêché 100 kilos d’ourites d’après ce qu’on a entendu. Et moi aujourd’hui, je n’en ai eu que 4 kilos, c’est très peu», souligne la piqueuse d’ourites qui a commencé à 9 ans.
«Mes parents étaient pêcheurs et à 9 ans, j’ai eu envie d’essayer moi aussi. Avec une amie, nous sommes parties seules pour piquer les ourites sans rien dire à nos parents mais nous avons failli nous noyer car nous ne connaissions rien à la mer, ni à la pêche. Par la suite, ma maman a commencé à m’emmener avec elle car elle voyait que je mourais d’envie de la suivre. Depuis, j’en ai fait mon métier. C’est un travail difficile, surtout pour une femme car il faut se lever très tôt, aller en mer, marcher, chercher, mais il m’a permis de nourrir ma famille même s’il ne rapporte pas beaucoup», explique Lina.
Aujourd’hui, trois de ses quatre enfants – deux filles et un fils – lui ont emboîté le pas. «C’est un métier qui n’est pas près de disparaître à Rodrigues. Il est vrai qu’à un moment, les ourites se faisaient rares mais aujourd’hui grâce à la fermeture, il y en a plus. Et les années qui viennent devraient être encore meilleures mais il faut plus de surveillance pour empêcher les fraudeurs de sévir», assène la piqueuse d’ourites. Approuvée par sa collègue Jocelyne Shevery, 44 ans : «Il faut vraiment qu’il y ait un contrôle plus sévère sinon nous serons les grands perdants»
Cette habitante de Dans Coco fait ce métier pour élever ses cinq enfants. «J’ai commencé à 17 ans parce que mon bonom faisait aussi ce travail. Quand il est parti, j’ai continué pour faire vivre ma famille. Aujourd’hui, j’ai eu 4 kilos de poulpes, ce n’est pas beaucoup mais j’espère en avoir plus la prochaine fois.»
C’est ce qu’espèrent aussi tous les pêcheurs ainsi que les banians, les consommateurs et les autorités rodriguaises. Une bonne saison de la pêche aux ourites qui permettra à tous de sortir gagnants. Après tout, n’est-ce pas l’objectif même de la fermeture de la pêche…
Textes et photos : Michaëlla Coosnapen-Gentil
Pourquoi fermer la pêche ?
La fermeture temporaire de la pêche aux ourites permet aux femelles ourites de sortir pondre leurs œufs et permet aussi d’augmenter le stock et la taille des ourites dans leur écosystème. À Rodrigues, la première fermeture a eu lieu en 2012 et a connu un grand succès car les exportations d’ourites ont augmenté de 106 tonnes rapportant plus de 10 millions de roupies à l’économie rodriguaise. Ce programme lancé par les autorités et ONG rodriguaises, qui, conscientes du problème de la pêche aux ourites, ont accepté de travailler ensemble pour protéger les intérêts des pêcheurs et le développement durable de ce secteur. Ce programme est vivement appuyé par la Commission de l’océan Indien et l’Union européenne. Pendant la fermeture, les pêcheurs intègrent un programme de travaux alternatifs rémunérés comprenant entre autres, le nettoyage de certains lieux, le ramassage des déchets en plastique, les travaux forestiers. (Source : Le Guide de communication de la 2e fermeture saisonnière de la pêche à l’ourite à Rodrigues)
Du poulpe aux sauces de la région
Il met l’eau à la bouche. Lui, c’est le livre de recettes «Ourites : recettes de l’océan Indien», lancé lundi par Jean Claude de l’Estrac et qui vise à revaloriser ce produit de la mer. «Ce livre de recettes réalisé avec la collaboration de Françoise Baptiste et de ses amis chefs, montre combien cet aliment sain est présent dans les casseroles et assiettes de chacun de nos pays membres», a expliqué le Secrétaire général de la COI.
Françoise Baptiste, elle, est toute fière d’avoir contribué à ce projet de la COI qui a été réalisé en deux mois. «J’avais déjà quelques recettes et j’ai recherché d’autres recettes de la région avec l’aide d’une équipe. Il y a des plats de toutes les îles de l’océan Indien. Ça a été un plaisir de créer, de redonner de la valeur aux ourites à travers ces recettes», confie la passionnée de cuisine qui a déjà un livre de recettes rodriguaises à son actif.
Pour Davide Signa, expert en sécurité alimentaire de la FAO, qui a aussi contribué à ce livre, «l’ourite est un produit sain dont il faut encourager la consommation car il a diverse vertus nutritionnelles et est riche en protéine». Ça donne envie…
Un concours nommé «Top Chef Ourite»
And the winner is… Marie Dany François ! C’est une assistante chef émue qui a été désignée grande gagnante du concours «Top Chef Ourite» organisé lundi à l’hôtel Mourouk dans le cadre de la réouverture de la pêche aux ourites. Les deuxième et troisième gagnants sont aussi… des femmes : Vanessa Martin et Josée Leung.
Ils étaient une dizaine de cuisiniers de différents hôtels et restaurants rodriguais à participer à ce concours visant, une nouvelle fois, à valoriser et sublimer l’ourite. Ils devaient, pendant deux heures, concocter deux plats chacun avec cet aliment : un à partir d’une recette du livre «Ourites : recettes de l’océan Indien» et un autre de leur propre création. Le jury était composé de cinq chefs et passionnés de cuisine venant de Maurice, des Seychelles, de Madagascar, des Comores et de La Réunion/France.
La satisfaction au rendez-vous…
La fête de l’ourite ! C’est le cas de le dire car enfants, adultes, officiels et autres personnalités étaient tous réunis à Petite Butte pour célébrer la réouverture de la pêche à Rodrigues, le lundi 7 octobre, après deux mois de fermeture. Ça a commencé avec l’arrivée des pêcheurs avec à bord de leurs embarcations des kilos et des kilos d’ourites, puis ça a continué sous un chapiteau aménagé pour la partie protocolaire en présence, notamment, du Chef commissaire Serge Clair, du Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI), Jean-Claude de l’Estrac, et des ONG locales.
Cette deuxième édition de la fermeture de la pêche aux ourites – la première édition a eu lieu en 2012 – a été encore une fois appuyée par la COI, au travers de son projet Smartfish, conjointement avec l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) et sur financement de l’Union européenne. Ce projet a pour but de booster le secteur de la pêche aux ourites en permettant aux femelles de se reproduire et aux poulpes en général d’arriver à une taille maximale.
Et, lundi, la satisfaction était au rendez-vous. «Quand on voit les pêcheurs rentrer avec cette quantité d’ourites, on peut dire que c’est un succès», a affirmé le commissaire Payendee, responsable du dossier pêche. Jean Claude de l’Estrac a, lui, déclaré qu’il a été rassuré en voyant la quantité d’ourites qui avaient été pêchés le matin même. «J’avais un peu d’appréhension. Je me demandais si la pêche allait être aussi bonne que l’année dernière car nous avons eu des problèmes de surveillance mais mon inquiétude est un peu passée quand j’ai vu les arrivées ce matin. Malgré le problème de sécurité, il semble que la saison de pêche sera bonne», a-t-il souligné dans son discours. Il a aussi promis aux autorités rodriguaises de continuer à les aider pour la protection du lagon. «On peut replanter les coraux, repeupler les barbaras, entre autres. Grâce à la science et à la solidarité, on peut corriger ce que ceux qui n’ont pas réfléchi auparavant ont fait», a aussi déclaré le Secrétaire général de la COI qui encourage par là même les autorités rodriguaises à adapter leur politique concernant la pêche à leur réalité. Un vœu exprimé par la Commission rodriguaise qui trouve que la politique mauricienne concernant ce secteur n’est pas forcément adaptable à la petite île.
La cérémonie officielle de la réouverture de la pêche aux ourites s’est achevée avec le lancement d’un livre de recettes intitulé «Ourites : recettes de l’océan Indien» (voir plus loin) et la remise des prix pour le plus gros poulpe, soit un de 5,3 kg, pêché le matin même par Joseph Emilien.