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Un «Time of Use Tariff» envisagé au CEB

Une mesure qui illumine… un peu

8 mars 2025

Krishna Pentayah et Khalil Elahee évoquent l’avenir énergétique de l’île.

Lumière ! En ce moment, le watt (happened?!) surgit à chaque fois que vous appuyez sur un interrupteur, que vous branchez la clim, que vous allumez vos ventilateurs ou que vous lorgnez vers la télé. Une sorte de conscience énergétique réveillée par les appels à la sobriété énergétique du Central Electricity Board (CEB) pour contrer les pics d’utilisation qui ont affolé les turbines. Pour aller plus loin, il est désormais question d’un Time of Use (TOU) Tariff de 18 heures à 21 heures pour calmer vos envies d’électricité. Avec un prix différencié, le CEB estime pouvoir alléger la pression aux heures de pointe (vous paierez plus à ces heures, mais moins aux heures creuses). Annonce faite lors d’un atelier de travail sur l’efficacité énergétique ce 6 mars. «L’efficacité énergétique est la solution la plus immédiate et la plus accessible face à l’augmentation de la demande», a expliqué le ministre de l’Énergie, Patrick Assirvaden. Pour essayer d’y voir plus clair, voici les lumières de deux experts ; le Professeur Khalil Elahee, président du board de The Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), et Krishna Pentayah, président de l’ONG Sov Lanatir, ingénieur et chercheur en énergie verte.

Une demande énergétique en augmentation. Un record de 567,9 MW (le 5 février vers 21 heures) a été atteint et a donné des sueurs froides aux autorités.

Krishna Pentayah : «La demande énergétique évolue à un rythme bien plus rapide que prévu. En 2018, le CEB anticipait une consommation de 265 MW pour 2025, mais cette prévision a été revue à 544 MW et nous avons déjà atteint 567,9 MW. Cette croissance est largement attribuable à l’augmentation du nombre d’appareils énergivores.»

Une idée… lumineuse ? Le TOU en a tout l’air, selon les experts ! Si les Mauriciens.nes se s'adaptent pas et n'aménagent pas leur utilisation de l’électricité. Faire tourner une machine à laver le matin plutôt que le soir, why not ?

Khalil Elahee : «L’objectif est de déplacer la demande des heures de pointe vers les heures creuses avec des incitations financières. Par exemple, si un foyer moyen, grâce à l’usage plus sobre et responsable des appareils électriques entre 18 heures et 21 heures, économise disons, Rs 200 par mois, cela aidera aussi le CEB qui n’aura pas à faire rouler les turbines à gaz qui coûtent cher. Mais surtout, le réseau aura une meilleure sécurité. Ce sera une win-win situation et même un bénéfice énorme pour le climat, l’environnement ou encore la santé car la clim n’est pas toujours sans risque sanitaire.»

Krishna Pentayah : «Il s’agit d’une mesure incitative pertinente pour encourager une gestion plus efficiente de l'électricité. Toutefois, bien que ce dispositif puisse contribuer à modérer la consommation, il ne saurait se substituer aux réformes structurelles nécessaires pour assurer une transition énergétique durable et résiliente. De plus, il ne faut pas oublier que l’impact d’une telle réforme tarifaire ne sera pas le même pour tous. Une hausse des coûts de l’électricité pourrait être difficile à absorber pour certains ménages et entreprises. Le TOU n'est qu’une solution partielle.»

Une mesure qui va coûter plus cher aux consommateurs.trices ? Pas forcément ! Des économies seraient même à prévoir si vous jouez le jeu. Mais peut-on ne pas allumer les ventilateurs ou laisser les enfants jouer à leur console ?

Khalil Elahee : «La demande et la fourniture ne sont jamais constantes, donc les coûts de production varient avec le temps. Logiquement, on devrait payer les vrais coûts. Sinon, il y a une injustice envers la masse de petits consommateurs qui paient, finalement pour que quelques gros consommateurs puissent avoir une fourniture continue. La non-déclaration de la plupart des 100 000 climatiseurs ajoutés l’an dernier provoque aussi une instabilité localisée dans certaines régions. Il faut s’assurer que le TOU soit revenue neutral car le but est la maîtrise de la demande et non d’exploiter les consommateurs. Si c'est bien conçu, ces derniers sortiront gagnants.»

Vers le renouvelable. Krishna Pentayah estime qu’il faut «accélérer la transition vers les énergies renouvelables pour renforcer la souveraineté énergétique». Un work-in-progress avance Khalil Elahee.

Pour moins d’énergies fossiles. Krishna Pentayah : «Maurice s’est fixé pour objectif d’atteindre 60 % d’électricité renouvelable d’ici 2030. Depuis 2015, plusieurs initiatives ont été mises en place. Malgré ces avancées, la part des énergies fossiles reste dominante (environ 80 % du mix énergétique). La diversification énergétique devient donc une priorité nationale, tant pour des raisons économiques qu’en raison des incertitudes géopolitiques. Des projets stratégiques devraient être accélérés : l’exploitation des résidus de canne à sucre ;la valorisation énergétique des déchets ; le développement de l’hydrogène vert, qui pourrait à terme offrir une alternative durable au fioul utilisé dans les centrales thermiques ; l’exploration des potentialités géothermiques et de l’énergie des vagues, et l’offshore wind energy avec notre EEZ aussi large.»

Pour l’efficacité énergétique. Krishna Pentayah : «Aujourd’hui, le monopole du CEB limite l’intégration rapide des énergies renouvelables et freine la participation des producteurs indépendants. Il est impératif de moderniser la régulation du secteur et d’attirer davantage d’investissements privés. Par ailleurs, pour renforcer notre résilience énergétique, il est crucial de mettre en place des mesures d’efficacité énergétique plus ambitieuses, telles que : l’extension des normes de performance énergétique aux réfrigérateurs, aux chauffe-eaux et aux équipements industriels ; l’amélioration de la gestion de la demande, grâce aux réseaux intelligents et à des incitations tarifaires plus ciblées ; la mise en place d’accords de coopération énergétique régionale, par exemple, en facilitant l’échange d’électricité avec Madagascar ou les Seychelles via des infrastructures sous-marines, et le développement d’une culture énergétique durable, via des campagnes de sensibilisation et des initiatives publiques-privées.»

Revoir le plan stratégique. Khalil Elahee : «Pour revenir au TOU, il faut savoir que le CEB gère mieux les pics de consommation du jour parce qu’il y a un apport des énergies renouvelables, surtout le solaire même si le ciel est à mi-couvert. Il faut avancer davantage dans cette direction, avec le stockage d’énergie si possible. Nous revoyons à la MARENA le plan stratégique sur les énergies renouvelables afin d’accélérer la transition énergétique. Le précédent gouvernement avait une ambition, mais ne s’était pas donné les moyens afin de mettre en chantier des projets dans les délais prévus. La MARENA relancera très prochainement des initiatives pour encourager des développements innovateurs dans ce secteur.»

Un réel défi, une quête d’indépendance. Maurice doit écrire son histoire énergétique afin de trouver son indépendance, explique Krishna Pentayah.

L’épineuse question des importations. «Maurice importe 100 % de son charbon et de son pétrole. Dans un contexte géopolitique de plus en plus instable, Maurice doit anticiper les risques liés à sa sécurité énergétique. Une fragmentation des alliances internationales ou une crise prolongée sur les marchés de l’énergie pourraient entraîner : une volatilité accrue des prix des hydrocarbures, impactant directement le coût de l’électricité ; des perturbations dans l’approvisionnement en charbon et en diesel, particulièrement en cas de tensions maritimes affectant nos routes commerciales, et une pression accrue pour sécuriser des accords énergétiques bilatéraux. Face à ces risques, la transition énergétique n’est pas seulement une nécessité environnementale, mais également un enjeu stratégique pour garantir l’indépendance énergétique du pays.»

Le vert, une importance capitale. «Maurice ne peut pas se permettre de dépendre indéfiniment des importations de combustibles fossiles. La transition énergétique nécessitera une approche globale, combinant : le déploiement accéléré des énergies renouvelables, pour assurer une plus grande autonomie énergétique ; la modernisation du cadre réglementaire, afin d’encourager l’investissement et l’innovation, et une stratégie proactive en matière d’efficacité énergétique, pour limiter l’impact des fluctuations des marchés internationaux. En adoptant une vision cohé-rente et en mettant en œuvre des réformes structurelles, Maurice pourra bâtir un mo-dèle énergétique plus durable, plus résilient et plus souverain, aligné avec les ambi-tions définies dans le Renewable Energy Roadmap 2030. On a eu notre indépendance coloniale, à quand l’indépendance énergétique ?»

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