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Village du Morne : l’eau se fait rare, la patience aussi !

13 mars 2025

Montagne emblématique, paysage idyllique, village authentique… Le Morne reste un trésor inestimable de notre île. Avec sa montagne du Morne Brabant, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, ses habitants préservent précieusement ce lieu chargé d’histoire, marqué par l’esclavage et le marronnage. C’est aussi un village apprécié des touristes qui viennent y retrouver le charme d’antan, entre traditions et nature préservée. À peine arrivés, nous retrouvons le Morne tel que nous l’avions laissé lors de notre dernier reportage en décembre 2020. Les pêcheurs s’affairent à poncer leurs pirogues, papotent à l’ombre des filaos, entre les marchands de poissons et les petits snacks. Un lieu paisible, bercé par le clapotis des vagues et le passage des automobilistes qui traversent la route côtière. Ce jour-là, un marchand de fruits confits sur sa moto apporte un peu d’animation. Avec la mer scintillante et la silhouette majestueuse du Morne en toile de fond, le spectacle nous coupe le souffle. Mais derrière cette carte postale se cache une réalité plus sombre. Lors de notre balade, nous étions optimistes quant au projet d’approvisionnement en eau réalisé grâce à l’initiative de la HSBC, en partenariat avec la Central Water Authority (CWA), le Lions Club de Quatre-Bornes et le Mouvement Autosuffisance Alimentaire (MAA), qui devait soulager environ 500 familles grâce à un système de pompage à la rivière Staub de Baie-du-Cap. Aujourd’hui, la colère gronde. Le 3 mars, de nombreux villageois, excédés par des coupures qui durent parfois jusqu’à six jours – notamment à Dilo-Pourri –, ont manifesté pour que leurs doléances soient enfin prises en compte. Quand l’eau coule enfin, elle est souvent trouble, boueuse, voire impropre à la consommation. L’approvisionnement par camions-citernes est chaotique et l’attente interminable. En 2025, alors que le Morne accueille des hôtels de luxe et des milliers de visiteurs, ses habitants doivent encore se battre pour un accès à l’eau potable. Nous sommes allés à leur rencontre, écouter leur détresse, leur résilience et leur combat pour ce droit fondamental.

Les villageois excédés ont bloqué la route jusqu’à l’arrivée des camions-citernes, le lundi 3 mars.

Le réservoir à l’Embrasure.

Nous arrivons sur la route royale du village, où une boutique bleue attire la foule. C’est là que nous rencontrons Juliana Emilien, curieuse de notre présence. «Monn ne isi ek zame inn gagn sa kantite problem delo-la! Imaginez-vous quatre jours sans une goutte d’eau. Nous avons plusieurs fois sollicité le président du village, qui, à son tour, a fait les suivis nécessaires, mais les autorités nous laissent en suspens. Un seul camion-citerne ne suffit pas pour tout un village. Et quand nous faisons appel à eux, c’est en vain. Pa konpran kifer? En début d’année, la maigre quantité d’eau que nous avions était boueuse. Pa kapav lav linz blan! Nous voulons un minimum de considération et un approvisionnement, ne serait-ce que quelques heures par jour, pour nos tâches quotidiennes. Il serait aussi temps qu’on nous informe des coupures ou du passage des camions-citernes, car nous sommes dans le flou.»

Après tant de doléances entendues, nous décidons d’aller voir ce système d’approvisionnement en eau près de Maconde. Sur place, nous rencontrons Aileen Louis, agente de sécurité et habitante du Morne. «Le problème, c’est que nous avons eu beaucoup de pluie, mais l’eau qui remplit ces réservoirs vient directement de la montagne. Nou pe bwar enn delo kanal ! Parfwa ou trouv ti lever pe danse, ek mem bann kamarons !» Malheureusement, ces réservoirs ont dû être vidés, car ils étaient remplis de boue après le passage du cyclone Garance. «Une solution, même temporaire, aurait été que les camions-citernes les remplissent directement. Nous aurions eu une eau plus propre et moins de frustrations chez les habitants. Tout fonctionne à cette station, sauf le traitement de l’eau ! Ce manque d’entretien pousse même certains à voler l’eau directement des tuyaux de la CWA pendant la nuit. Il faudrait aussi enfouir ces tuyaux fraîchement installés pour éviter d’autres problèmes. J’espère que les autorités écouteront enfin nos doléances et envisageront des alternatives comme le réservoir de l’Embrasure.»

Les deux réserves d’eau de Macondé étaient à sec lors de notre visite.

Ce que nous pensions être une boutique est en réalité enn baz manze. Le Lagon Vert Snack, installé depuis 25 ans, est connu pour ses plats typiques : minn bwi, farata accompagné de salmi ourit ou encore de salmi Place d’Armes (un coquillage réputé dans la région). «J’ai commencé avec un tricycle il y a 35 ans. À l’époque, les ti puri, les ti kari veg et les gâteaux salés étaient les plus demandés. Aujourd’hui, le menu s’adapte aux goûts des jeunes. Je me souviens encore du temps où notre village comptait trois fontaines publiques. Ti bizin pran touk pou sarye delo ek ti koul bien, 24-er lor 24! Mais avec l’augmentation de la population, la demande en eau a explosé. Autrefois, les familles qui n’avaient pas de réservoir pouvaient compter sur leurs proches. Aster, sakenn inn gagn so priz, me pa gagn dilo ! On doit revivre à l’ancienne, remplir des récipients et stocker autant que possible. Nous, les anciens du village, sommes habitués à ramasser l’eau, contrairement aux jeunes. C’est ce qui a poussé à la manifestation. Il fallait que ça change ! Et ce jour-là, nous avons enfin eu plusieurs camions-citernes. Mais l’eau provenant de la station de pompage de Maconde mérite une attention particulière. En à peine cinq ans, comment un tel projet peut-il déjà montrer ses failles ? C’est inconcevable ! Tous les jours, je dois me rendre chez mon gendre à Cotteau-Raffin pour remplir des bidons d’eau et pouvoir travailler. C’est incroyable que le village voisin ait de l’eau claire et sans coupures, tandis que nous, nous devons nous battre pour quelques litres. An plis, bill CWA-la pa bese ! Il faudrait aussi envisager de nous approvisionner depuis le réservoir de l’Embrasure et pa zis pans bann lotel !», lance Christina Verloppe.

Saniéta Gopaul est venu vivre au Morne après son mariage il y a 11 ans. «J’habite à la Cité EDC et si au début l’approvisionnement en eau était gérable, maintenant nous souffrons tous les jours. Même si les anciens conseillers du village se sont battus pour obtenir ce réservoir situé près de Maconde, qui nous a soulagés un temps, nous ne sommes pas les seuls à en bénéficier. L’eau est aussi partagée avec les habitants de Baie-du-Cap et Choisy. À chaque averse, elle devient insalubre et on nous dit que la pompe est en panne. Qu’en est-il de nos nouveaux conseillers ? Et combien de temps encore avant qu’ils nous prennent au sérieux ? Koumadir zot pa konpran sa lanfer-la ! Parfois, nous attendons la distribution d’eau des camions jusqu’à 23 heures, pour finalement nous retrouver sans une goutte et sans aucune explication. Kan pena delo pou kwi manze, bizin manz dipin ek ouver enn bwat ton ! Nous ne demandons pas grand-chose, juste un peu d’eau… car l’eau, c’est la vie ! Nous vivons tous en paix et sommes solidaires dans les épreuves, mais nous voulons une solution durable et non pas être obligés de manifester à chaque fois pour nous faire entendre.»

Grinder à la main, il ponce la coque de son bateau. Ce pêcheur de Dilo-Pouri, au Morne, s’est habitué à la pénurie d’eau. «Si ou get nou tank-la ou gagn per! C’est une mare de boue qui tapisse le fond du réservoir. Depuis des années, je dois acheter des bouteilles d’eau pour boire. Sis zour depi mo pena enn gout dan robine !» raconte Vinesh Fokeer, rejoint par son épouse, Yeshna, qui partage son calvaire quotidien. «T-shirt lekol mo zanfan inn vinn rouz! Kouma pou kwi diri ar sa delo-la? Parfois, nous n’avons pas d’autre choix que de faire avec. Comment l’eau de la rivière peut-elle être directement pompée dans nos maisons, san okenn tretman ? À chaque coupure, on nous dit soit que la pompe est en panne, soit que l’eau est trop boueuse pour être distribuée. Après cinq ans, toujours pas de solution ! Nous sommes condamnés à payer pour une eau sale. Nou vilaz rekonet antie lemond, me pou nou zordi limem pli pir !» Le couple nous montre aussi le manque d’attention pour cette partie du village. «Depuis un mois, il y a un trou béant sur le trottoir, un vrai danger pour les écoliers. Pena personn ki pran nou kont ! Entre les rues laissées à l’abandon et le problème d’eau, nous nous sentons oubliés.»

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