Publicité

Jane Ragoo : «À la maison, le partage des tâches est essentiel»

5 avril 2016

Jane Ragoo : «À la maison, le partage des tâches est essentiel»

C’est quoi le travail invisible ?

 

Quand j’anime des réunions syndicales, il m’arrive de demander aux messieurs présents de m’indiquer si leur épouse travaille ou pas. Ils tombent toujours dans le piège ! Alors je leur dis : qui a mis les vêtements à sécher, préparé les enfants pour l’école ? Qui gère la maison, le budget, les démarches scolaires, les repas pendant que vous êtes là, avec nous ? Et là, je leur demande si ça, ça ne s’appelle pas travailler ! Ils rient. Mais le message est passé. Les femmes au foyer font un travail extraordinaire, mais elles n’ont pas de sick leave, de salaire, de bonus de fin d’année et de couverture sociale. Elles font un travail invisible. Et elles ont besoin d’être valorisées.

 

Il ne faut pas oublier ces femmes qui bossent et qui, avant et après le boulot, ont d’autres moments de travail chez elles. Le mari, lui, peut se permettre de s’asseoir devant la télé après une journée au boulot. La maman, l’épouse, la compagne n’a pas ce luxe-là. Elle n’a pas le choix. Bizin fer travay la ! Et ce que ces femmes font est souvent taken for granted.

 

Est-il possible de transposer ce concept dans le monde du travail aujourd’hui ?

 

Bien sûr. Un autre type de travail invisible, c’est celui qui est peu rémunéré, peu valorisé. Les femmes cleanersdans les écoles qui reçoivent Rs 1 500 comme salaire, par exemple, alors qu’elles remplissent leurs duties : les toilettes sont nettoyées, la cour de l’établissement est propre et vos enfants peuvent en profiter. Et les éboueurs qui travaillent dur pour un salaire indécent ? À l’étranger, on valorise ces emplois, que ce soit par la terminologie ou par une amélioration des conditions de travail. Ici, ces personnes, en plus de leur modique paye, ne sont pas valorisées. Elles vivent une réelle souffranceau quotidien.

 

Une souffrance ?

 

Il y a le salaire, il y a aussi le manque de reconnaissance. Ces personnes font des jobs, mais n’existent pas pour ceux qui les entourent. Combien de personnes disent bonjour à un planton ? Pourtant, il est là le premier, nettoie tout, ouvre les fenêtres, etc. Qui reconnaît le travail de ceux qui font le dog work– toutes les recherches, toutes les sollicitations, entre autres ? Le big boss, lui, reçoit toutes les félicitations et les gratifications ? Ces gens-là bossent dur et ne gagnent pas bien leur vie. C’est un long combat pour nous, syndicalistes, de faire valoir les droits des travailleurs.

 

Revenons au travail dit invisible au sein du foyer. Avec l’entrée dans le monde du travail des femmes, est-ce que les mentalités ont évolué ?

 

Les choses ne vont pas changer comme ça ! C’est toute une éducation qu’il faut modifier, que ce soit à l’école ou à la maison. Tant que les enfants grandiront avec des stéréotypes basés sur le sexe (les filles sont fragiles, elles doivent rester à la cuisine ; les garçons sont forts, ils peuvent grimper aux arbres), les choses ne vont pas bouger. Saviez-vous que dans certaines écoles pré-primaires, il existe des coins poupées uniquement pour les filles ? Il faut définitivement revoir les valeurs qui sont inculquées à nos enfants.

 

Pourquoi, en 2016, ce sont les femmes qui se chargent principalement des tâches ?

 

Dans les sociétés asiatiques patriarcales, c’est le cas. Les filles grandissent avec cette idée : il faut rendre des comptes et prendre soin des hommes de sa vie. Un fils qui devient adulte aurait même le droit de nous donner des ordres ! C’est difficilement envisageable, mais c’est une réalité.

 

Aujourd’hui, les hommes «aident», «donnent un coup de main» dans la maison, selon leurs propres termes…

 

C’est vrai que ça bouge, un peu. Avec les médias, les films visionnés et le fait que les femmes ramènent aussi de l’argent, on assiste parfois à un partage des tâches. C’est essentiel dans un couple, mais ce n’est pas la norme. Et comme vous le relevez, de nombreux hommes n’imaginent pas que c’est un devoir, mais plutôt un service qu’ils rendent à la femme. Alors que c’est une division of labourqu’il faut faire. Je dis toujours que les couples qui vont se marier ou vivre ensemble doivent parler de ce partage. Il doit même y avoir un contrat pour savoir qui fait quoi ! Pendant la période des fiançailles, tout va bien, tout est beau. C’est après qu’il y a des clashes. Chez sa maman, l’homme ne faisait rien. Et il pense que ce sera la même chose avec sa femme.

 

Mais en 2016, les femmes ne peuvent-elles pas s’imposer ?

 

Oui. Elles le disent : si une femme peut nettoyer des drains, souder, bat beton, réparer des voitures, un homme peut faire le ménage ! Dans toutes les discussions, elles tiennent les mêmes propos. Mais leur conjoint ne les suit pas forcément dans leur raisonnement.

 

Les mamans d’aujourd’hui apprennent-elles à leur fils ce partage des tâches ?

 

De plus en plus, je pense. Mais il faudra encore au moins deux générations pour que cette notion soit acceptée et reconnue.

 

Le job de «femme au foyer» est en mal de reconnaissance. Qu’est-ce qui est fait au niveau de la CTSP ?

 

La CTSP est la première confédération syndicale à avoir inscrit dans ses rules and regulationsque every woman is a working woman. Pour nous, une housewifecontribue directement à l’économie et à la croissance du pays. Exemple : un homme, employé d’usine, doit porter un protective clothing. C’est la femme qui lave cet outil indispensable. Et cela sans rémunération. Aujourd’hui, l’identité de la femme est attachée à une femme : soit elle reçoit une pension parce qu’elle est mère célibataire soit parce qu’elle est veuve. Si elle est femme au foyer, elle doit attendre l’âge de 60 ans pour pouvoir toucher sa pension. Et là, elle n’a droit qu’au basic retirement schemealors que son époux, grâce à ses contributions au NPF, touche plus. Pourtant, elle a travaillé toute sa vie. Nous avons demandé une rencontre avec la ministre de la Sécurité sociale afin que les femmes au foyer puissent avoir une protection sociale. Et nous avons compris que les housewives pouvaient contribuer à la pension des self-employed. Nous avons demandé à leurs maris respectifs, membres de notre syndicat, de cotiser pour elles. C’est une bonne chose. Et il faut communiquer dessus au maximum. En Nouvelle-Zélande, le travail des femmes au foyer est rémunéré par l’État ! Mais nous n’en sommes pas encore là à Maurice.

 


 

Au Jardin de la Compagnie : les femmes s’épanchent

 

Un moment pour parler, pour dénoncer, pour se faire entendre. Quelques heures pour faire part de sa souffrance et de son espoir d’une vie meilleure. Le sort des femmes exploitées dans le monde du travailest un long combat de la CTSP. C’est cette confédération qui organise, demain, lundi 4 avril, un événement de 11 heures à 16 heures au Jardin de la Compagnie. 1 500 femmes distribueront des tracts, agiteront des banderoles et feront part de leur souffrance quotidienne et de leur quête de reconnaissance et de valorisation.

Publicité