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Par Yvonne Stephen
10 février 2016 14:02
Leson explose. Dans les oreilles. Et surtout dans l’âme. Le bruit sourd d’une main qui rencontre lapo kabritrouve un écho dans le battement du cœur du Mauricien. Ce tempo brut accompagné du cliquetis de minuscules cymbales, sans fioriture aucune, est inscrit dans les gênes de nos souvenirs. De notre histoire. La chaleur de cette musicalité enflamme les envies de se bouger. La ravann à la peau chaude est pleine de sensualité, prête à s’offrir aux caresses saccadées d’un faiseur de musique. En cette fin de matinée, ce jeudi 4 février, c’est José Legris qui fait naître la magie du bout de ses doigts dans sa maison à Plaine-des-Roches. Des étincelles de bonheur alors qu’il reprend le tube culte de son père Michel Legris, Mo Kapitenn. Ambiance sega tipik (inscrit au patrimoine culturel et immatériel de l’UNESCO) lor baz…
Une ambiance que vous retrouverez certainement aujourd’hui, dimanche 7 février (pour le dernier jour), lors de l’événement Sega Tipik Saqui se tient ce week-end au Caudan Waterfront. Ce bout de capitale résonnera aux sons des instruments incontournables du segatraditionnel : le triangle, le bobre, la maravannet la ravann, entre autres. Pour célébrer la musique de l’âme de l’île, nous avons pris la direction du Nord, parcouru les petits villages et laissé nos regards se perdre sur les étendus verts afin de découvrir les secrets de laravann… Après un pont, nous sommes tombés sur José, casquette vissée sur la tête et le sourire aux lèvres et dans le coeur. Pour retrouver sa maison-atelier, nous sommes passés devant celle de Mo Kapitenn, le célèbre segatierdécédé le 30 janvier 2015. Il y a un peu plus d’un an.
Autant de jours vécus sans son père pour l’artisan. Sans sa présence physique et ses ti zistwar. Mais avec ses souvenirs, ses paroles et sa musique. Dans le salon de José, Michel est là. En photo, en instrument, en amour. Toutes les conversations tournent autour de «mo papa», celles qui dévient prennent la route de la ravann : «Mo ena enn lamur pu sa.Sans amour, on ne pourrait pas créer un instrument pareil.»Ses journées, ce chanteur (avec son groupe V. Musik José Legris) et menuisier les passe à confectionner ses merveilles. Il a accepté de nous montrerles principales étapes de la réalisation d’une ravann, un travail précis et de longue haleine, entre les temps de séchage et les multiples micro-étapes.
Mais José réalise son art comme il chante un sega tipik, avec rythme et savoir-faire. Dans sa partition des tileleet des olaelolode passion, et des envolés de précision…
Étape 1 : Trouver la matière première, bien sûr : la peau de cabri. José l’achète chez des amis bouchers : «Je l’obtiens avec la graisse, le sang et les poils. C’est à moi de nettoyer.»Vous imaginez que cette étape n’est pas très ragoûtante (la peau de l’animal sent très fort, surtout quand elle a macéré pendant plusieurs jours dans de l’eau). Il faut plusieurs étapes de trempage – dans de l’eau d’abord, puis des solutions pour nettoyer et désinfecter – afin qu’elle puisse enfin être débarrassée de ses poils. L’épouse de José, Christiane, lui donne un sacré coup de main pour cette étape délicate. «Ce n’est pas un travail facile. J’avance avec un couteau, il faut mettre de la force», confie-t-elle. Une fois la peau bien nettoyée, elle va prendre le soleil pour un séchage intense. Avant de retrouver un bain d’eau juste avant d’être utilisée (pour la rendre malléable). Néanmoins, toute peau nettoyée n’est pas good for use. Parfois, José tombe sur de mauvaises surprises qui la rendent inutilisables : une mauvaise découpe, des boutons, des trous, entre autres : «Elle ne sert donc à rien. Il faut la jeter. C’est de l’argent perdu. Mais c’est impossible de savoir d’avance si la peau sera de bonne qualité ou pas.»
étape 2 : Place au cercle, qui se fait avec du plywood. Une étape essentielle : si le serrage de la structure n’est pas bien faite, la peau de cabri ne se tiendra pas très bien et finira par gondoler. Plus elle est bien étirée et lisse, moins l’étape du sofe ravannest longue et difficile. Il est nécessaire d’humidifier le bois une dizaine de minutes avant le début de cette étape. Puis, c’est dans un «moule» de métal que José va disposer plusieurs couches de bois, les coller et attendre un peu avant de démouler et de placer au soleil pour la fin du séchage.
Étape 3 : C’est le temps de l’assemblage. Avec le cercle et la peau de cabri humidifiée, José fait le montage à l’ancienne sur une table qui tourne. Il passe de la colle, place la peau et l’étire au maximum avant de la fixer à plusieurs endroits à l’aide d’un marteau et d’un clou : «C’est une technique ancienne. J’en utilise d’autres que j’ai développées avec les années de pratique et d’expérience.» La ravannva ensuite prendre un autre bain de soleil avant de se faire une petite beauté : vernissage et pose des trois timbales.
Il devait avoir 9 ans quand il a réalisé sa première ravann. C’était avec son père : «Il enlevait les poils avec un rasoir. Le travail n’était pas parfait.»Les premières ravannétaient noires, couleur cendre : «Lefinish n’était pas aussiclean que maintenant. J’avais même honte de la porter quand j’étais plus jeune.»Il se rappelle de ce sentiment, des moqueries et des commentaires acerbes : «Même des gens de notre famille n’aimaient pas lesega tipik et ne nous fréquentaient pas.»Il se souvient, néanmoins, des belles histoires vécues grâce à cette musique, de son premier voyage à La Réunion pour un concours de sega : «Nous étions pauvres, nous n’avions rien, mais nous avons pu voyager. C’était fou.»La découverte du monde, il l’a faite grâce au tipik : «Je suis allé en France, en Amérique. J’ai joué à l’ONU en 1993.»Aujourd’hui, il se dit satisfait de la reconnaissance de cette musique à Maurice : «Les autorités nous soutiennent.»Néanmoins, il l’avoue, la route est encore longue pour que ce segad’avant connaisse un rayonnement plus important.
Il en fabrique, des ravann synthétiques. Mais ce n’est pas son coup de cœur. D’ailleurs, José ne croit pas que le son soit le même : on n’y ressent pas l’âme du sega. Néanmoins, il comprend, dit-il, que c’est beaucoup plus facile de ne pas avoir à chauffer la ravannpour pouvoir en jouer :«Mais il ne faut pas perdre notre héritage. Au contraire, il faut le valoriser.»
Pour en savoir plus et/ou acheter une ravann (il en existe en sept dimensions) ou des petites figurines de sega bien sympas, contactez José au 5785 7962.
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