Publicité

Alliance du Changement : la désillusion

8 novembre 2025

Cassure évitée de justesse, trêve fragile, bilan mitigé… Un an après son triomphe électoral, l’Alliance du Changement tente de sauver les apparences et de regagner la confiance d’une population plus que jamais déçue et méfiante.

Crise désamorcée in extremis, trêve fragile pour l’Alliance

L’Alliance du Changement souffle sa première bougie, mais c’est loin d’être un anniversaire heureux. Dehors, l’ambiance est bien plus morose que festive. Et à l’intérieur des rangs du gouvernement, le climat, après avoir été lourd et tendu, est maintenant à l’apaisement. Les tensions croissantes de ces derniers jours, les rumeurs de cassures entre le MMM et le PTr et les réunions successives pour tenter tant bien que mal de colmater les brèches ont dominé la scène politique et relégué au second plan toute réjouissance. Alors que l’équipe au pouvoir était déjà sévèrement critiqué par l’opinion publique, les récentes manœuvres politiques ont amplifié ce malaise ambiant, accentuant le sentiment de mécontentement général au sein de la population.

Un an après sa victoire écrasante de 60-0, le gouvernement s’est évertué, ces derniers jours, à sauver les meubles, au détriment de l’image d’une alliance unie ; une image qui s’est brisée, dit-on, sous le poids des divergences d’opinion de plus en plus visibles, des rivalités internes, des ego démesurés et des idéologies difficilement compatibles. Derrière les sourires forcés et les réponses tantôt furtives, tantôt évasives aux questions des journalistes sur l’état des relations entre les membres de la coalition, ces derniers ont tenté, dans les coulisses du pouvoir, de jouer toutes les cartes pour éviter de clore cette première année de règne par un fiasco politique aussi écrasant que leur victoire.

Alors qu’elle était au bord de l’implosion, avec un Paul Bérenger qui menaçait de claquer la porte, la journée du jeudi 6 novembre a pris des allures de véritable marathon politique. Entre réunions de la dernière chance, tractations et appels à la raison, l’alliance a réussi, pour l’instant, à éviter le pire : Paul Bérenger a finalement décidé de ne pas quitter le gouvernement, du moins pour le moment. Si la relation entre Paul Bérenger et Navin Ramgoolam s’apparentait jusqu’ici au grand amour, c’est plutôt une scène de désamour qui s’est jouée entre eux ces derniers jours. En désaccord sur plusieurs sujets importants, le dialogue entre les deux a fini par tourner au vinaigre, poussant l’alliance au bord du précipice.

Les discordances entre les deux leaders portent principalement sur les nominations aux postes stratégiques. Après l’épineux dossier de Rama Sithanen à la Banque de Maurice et de Kishore Beegoo à Air Mauritius, Paul Bérenger, qui ne cachait plus sa colère, a exigé le départ de certains nominés rouges, dont le commissaire de police, le commissaire des prisons et le directeur par intérim de la FCC. Navin Ramgoolam, lui, a refusé de céder, préférant camper fermement sur sa position, quitte à provoquer un éventuel départ de Bérenger. Ce dernier n’a pas non plus caché sa déception concernant la réforme électorale et constitutionnelle qui tarde à venir.

Malgré son ultimatum, Paul Bérenger, qui s’est retrouvé esseulé face au désaveu de son propre parti, a été contraint de renoncer à sa menace. À la sortie du BP, tous n’avaient qu’un seul message : le travail continue au sein du gouvernement. La crise désamorcée de justesse, tout le monde, après une bonne dose de sueurs froides, a enfin pu pousser un ouf de soulagement. Mais une question se pose tout de même : jusqu’à quand cette trêve va-t-elle durer ?

Opération colmatage

À la sortie du Conseil des ministres, vendredi, tous n’avaient qu’un mot à la bouche : «Très bien.» Une déclaration qui contraste fortement avec la crise qui a été évitée de justesse la veille. Si face aux questions de la presse, Rajesh Bhagwan a préféré répondre avec véhémence : «Ki tet a tet ? Zordi, Konsey de minis dan enn mari lambians», Arvin Boolell a choisi de répondre avec le sourire : «Ça a été un Conseil des ministres comme ça l’a toujours été. Il y a eu une grande entente parce que l’essentiel, c’est le travail». Façade ou réel apaisement ? Les Mauriciens ont du mal à y croire à la dernière option. Pour eux, ces déclarations ressemblent bien plus à un paravent derrière lequel l’alliance essaie tant bien que mal de sauver les apparences.

Derrière cette mise en scène d’unité retrouvée, les fissures laissent pourtant des traces. Car cette crise, même désamorcée, n’a pas été sans conséquences. Elle a eu des répercussions majeures sur l’ensemble de l’alliance qui est désormais plus fragile, a terni son image et accentué les critiques au sein de l’opinion publique. Pour l’observateur politique Faizal Jeeroburkhan, ce semblant de calme retrouvé n’efface pas la méfiance provoquée par la crise. «Visiblement, les députés des deux partis ont pu convaincre leurs leaders des dangers, tant économiques que politiques, d’une cassure et de la perte de crédibilité auprès de leurs mandants. La catastrophe a été évitée de justesse. Cependant, une question subsiste : quelle sera la durée de cet apaisement?»

En effet, à peine un an après le début de son mandat, la perspective de voir voler en éclats une coalition, présentée comme salutaire et salvatrice pour le pays et le peuple, est difficile à digérer pour beaucoup. Elle ébranle durement la confiance des citoyens, déjà désabusés par les mesures d’austérité et étranglés par un coût de la vie qui ne cesse de les étouffer. Aujourd’hui, de nombreux Mauriciens ont le sentiment d’avoir été bernés, voire trahis par un gouvernement qui, jusqu’ici, n’a pas tenu ses promesses.

Pourtant, dans une alliance politique, les tensions entre les partenaires sont presque inévitables, surtout quand les leaders ont des cultures politiques différentes. Malgré tout, souligne l’observateur, le gouvernement avait jusqu’ici, tant bien que mal, réussi à contenir ces tensions. «La cohésion interne de l’Alliance du Changement repose sur la capacité des dirigeants à gérer les polémiques dans un esprit de compromission sans laver leurs linges sales en public. Il semble que pendant cette première année, le gouvernement a quand même réussi à gérer les tensions suite aux polémiques suscitées par la pension de retraite à 65 ans et les démissions au niveau d’Air Mauritius, de la BOM et de la police.»

Néanmoins, la situation, dit-il, demeure fragile et peut s’embraser à la moindre étincelle comme ce fut le cas il y a quelques jours. «Le risque d’une rupture de l’alliance est réel. La solution réside dans la capacité du Premier ministre, du vice-Premier ministre et des deux autres dirigeants des partis qui composent l’alliance à travailler en équipe, de manière harmonieuse, en mettant de côté leurs divergences politiques et leurs ego personnels afin de surmonter les menaces de déstabilisation.»

Pour Faizal Jeeroburkhan, ce n’est pas la première fois qu’un tel scénario se joue sur la scène politique locale. Cette situation était donc, selon lui, prévisible. «L’histoire semble se répéter : des scénarios semblables avaient déjà marqué la vie politique en 1983 et 1995. Il ne s’agit pas tant de divergences idéologiques que de différences de culture dans la gestion et la gouvernance des affaires du pays. Tandis que le leader du PTr, stratège mais parfois léthargique, tarde à prendre des décisions et laisse traîner les dossiers, le leader du MMM prône des actions fermes et rapides. Le premier agit souvent sous l’influence d’un cercle rapproché, tandis que le second, autoritaire et fougueux, se considère comme le seul maître à bord. On avait naïvement cru que, compte tenu de leur âge et du fait qu’ils abordent probablement leur dernier mandat, ils agiraient avec davantage de sagesse, de retenue et de discernement pour parvenir à des compromis.»

Pour Jocelyn Chan Low, il ne fait pas de doute qu’il y a un problème de cohabitation au sommet de l’État. «Nous avons un problème : l’alliance réunit deux grands partis et deux anciens Premiers ministres. C’est toujours compliqué, car chacun a sa propre manière de gouverner», souligne l’observateur. Il souhaite pousser la réflexion un peu plus loin. Pour lui, l’autre enjeu de cette crise réside dans la question de la succession au sein de certains partis. «Tout parti confronté à un problème de succession cherchera à maximiser ses chances de survie», explique-t-il. Pour le MMM, rester au gouvernement comporte ses propres défis :après une longue traversée du désert, maintenir l’adhésion des militants et profiter de la popularité gouvernementale pose ses difficultés.

La réforme électorale, notamment l’introduction de la proportionnelle, apparaît donc comme un élément clé pour la survie du parti. «Avec une réforme électorale, ce sont toujours les plus petits partis qui bénéficient, et non ceux qui sont au pouvoir. Le MMM fait face à un dilemme. S’il part, il perdra la réforme électorale et c’est ça le plus important. C’est probablement ça aussi qui tient le gouvernement.»

Pour lui, c’est l’histoire qui se répète. «Ce qui s’est passé jeudi rappelle les scénarios qui avaient conduit à la cassure de 1993. Certains ministres du MMM et du MSM se rencontrent sans Jugnauth ni Bérenger : on appelle cela la “réunion des éléphants”. Ce sont des shows politiques tout comme celle qui a mené à la rupture de 1993.»

Un an au pouvoir : un bilan en demi-teinte

Un an après son arrivée au pouvoir, l’heure du bilan a sonné pour l’Alliance du Changement. Loin d’être positif sans être totalement négatif, estime beaucoup. Entre mesures saluées, promesses non tenues, polémiques et une désillusion grandissante au sein de la population, le bilan est contrasté. Les nominations controversées, le népotisme, la cherté de la vie, la pension à 65 ans sans consultation préalable, la fin progressive des allocations sociales et de toutes les autres ont suscité colère, déception et méfiance au sein de la population. Des dossiers brûlants – Air Mauritius, Banque de Maurice, FCC, Mamy Ravatomanga – ont accentué la désillusion.

Jocelyn Chan Low et Faizal Jeeroburkhan nous livrent leur analyse de la situation.

Pour Jocelyn Chan Low, le bilan est loin d’être positif. «Le gouvernement a été élu sur la promesse d’un programme de renouveau, et non sur un programme d’austérité économique susceptible d’affecter le social. Pourtant, dès la publication du State of the Economy après les élections, il est apparu que la plupart des promesses économiques n’allaient pas se concrétiser. La réforme de la pension à 65 ans, absente du programme électoral, et la hausse du coût de la vie ont aggravé la situation. À cela s’ajoute la suppression progressive des allocations sociales mises en place par l’ancien régime. Sur le plan social, la déception est donc claire.»

C’est sans compter les nominations qui ont créé beaucoup de polémique. «On a vu le retour des anciens ou des copains politiques, et ça passe mal. Des crises ont été observées au niveau de la FCC et dans d’autres institutions souvent liées à la lenteur de certaines décisions promises pour les cinq ans de mandat. L’Alliance a dit cinq ans, mais les changements tardent à venir et c’est d’ailleurs l’une des causes des désaccords du moment.»

Tout cela, lance l’observateur, n’est pas anodin. «Si, à l’intérieur même du gouvernement, les dirigeants reconnaissent que les choses tardent à se concrétiser, bien sûr que le peuple va le ressentir.» Pour beaucoup, dit-il, le bilan est négatif. «Normalement, durant la première année de mandat, les gouvernements ont tendance à adopter des mesures populaires avant de se montrer plus prudents, puis de relâcher à nouveau à l’approche des élections.» Aujourd’hui, une chose, dit-il, est certaine : «Le feel-good factor n’est pas de retour.»

Faizal Jeeroburkhan estime, pour sa part, que, bien qu’il y ait certaines avancées positives, l’Alliance du Changement ne s’est pas montrée convaincante. «Ils n’ont pas été à la hauteur des attentes excessives qu’ils avaient créées avec les 25 promesses électorales qu’ils avaient brandies pour amadouer les électeurs. Malgré quelques avancées, notamment au Parlement, dans la police, au niveau du DPP, de la FCC, de l’éducation et de la santé, la population reste sur sa faim. Les citoyens peinent à percevoir des changements concrets dans leur quotidien, et beaucoup estiment que les promesses électorales n’ont pas été tenues.»

L’observateur estime ainsi que le bilan de cette première année est mitigé. Malgré quelques progrès encourageants, le gouvernement reste loin des attentes de la population. «On note une déception palpable dans la population. Peu de changements concrets sont visibles sur le terrain et dans la vie quotidienne des citoyens.»

Maintenant que la première crise interne a été désamorcée, l’Alliance du Changement saura-t-elle retrouver la confiance des Mauriciens ? Ces derniers l’observent désormais avec plus de scepticisme que d’espoir.

Publicité