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Chef Noël Chelvan, primé aux Gourmand Awards

Bienveni dan so… lakwizinn

12 juillet 2025

Le cuisinier hors-pair vient de recevoir deux distinctions internationales pour ses ouvrages consacrés à la gastronomie créole. Une reconnaissance mondiale pour un patrimoine culinaire local…

L’aventure a le goût des épices qui font le manze lakaz. Elle est relevée, elle s’ancre au cœur de ce que nous sommes. Elle raconte notre histoire de zilwa avec goût. Elle s’accompagne d’un brin de magie, comme la fumée que l’on fait naître avec le poukni pour donner vie à un kari qui mijote sur le feu de bois. Dans la marmite des sentiments, le mordant d’un clou de girofle, la douceur de la cannelle, la fraîcheur des feuilles de karipoule… En bouche, la partition défile, la symphonie est marquée en goût et en histoires. C’est de cette cuisine-là dont parle le chef Noël Chelvan, véritable griot-miam de la cuisine mauricienne. Ses deux livres, Histoire Et Cuisine Traditionnelle et Vokabiler kiliner kreol ek lakwizinn klasik morisien, viennent d’être primés (des ouvrages disponibles aux Éditions de l’Océan Indien).

Et cela, lors du prestigieux concours créé en 1995 par Edouard Cointreau : The Gourmand World Cookbook Awards. Une compétition internationale qui récompense les meilleurs livres de cuisine, de vin et de gastronomie. La 30e édition a eu lieu à Cascais, au Portugal, en juin. Histoire et Cuisine Traditionnelle a été désigné meilleur ouvrage de cuisine africaine au monde. Vokibiler, rédigé en créole et en français, a pris la première place mondiale dans la catégorie des ouvrages bilingues. Ces distinctions ont mené Noël Chelvan à la troisième place mondiale dans la catégorie des meilleurs chefs et auteurs (après la Colombie et Oman). Et, désormais, ce pays, ce concours, ce moment, cette ambiance ont une saveur particulière dans le cœur du chef. Car ces deux ouvrages parlent de cuisine, oui, mais aussi et surtout de traditions, de langage, de supplément d’âme. Ils racontent son histoire intime, mais aussi celle de sa région, Rivière-Noire, et de son île.

Civet de la réussite

Alors, comment a débuté cette fabuleuse aventure menant vers une reconnaissance tant méritée ? «La Maison Cointreau est tombée sur une vidéo de lancement de mon premier livre. Elle m’a contacté et m’a demandé une version en PDF, je leur ai fait parvenir mes deux ouvrages», confie le chef à la retraite. De là, le civet de la réussite commence à ti-bwi, à infuser les parfums du sacre : «Je suis heureux d’avoir emmené la cuisine de Rivière-Noire a un haut niveau. Je suis fier pour la région mais aussi pour le pays.» Car ses ouvrages sont uniques. L’Histoire et Cuisine Traditionnelle évoque la cuisine d’une région, celle de l’Ouest. Oui, elle est différente. Elle a ses propres codes et ses récits : «De Chamarel à Tamarin, on ne cuisine pas comme ailleurs dans l’île. Pas comme à Mahébourg. Pas comme à Trou-d’Eau-Douce.» Il évoque une cuisine épicée, riche, marquée : «La recette du massala est plus corsée, plus torréfiée. Avez-vous déjà gouté le toufe pwason de cette région ? Il est vraiment fort !» Enfant de Rivière-Noire, fils de pêcheur, il a connu les marées basses, mais aussi les marées hautes au sein de sa fratrie de six enfants.

Son enfance s’est construite autour de l’océan et des montagnes, de ce que la nature offrait et ces choses qu’on pouvait lui prendre. Et c’est ailleurs que l’envie de transmettre, de garder une trace d’une culture orale et palatale, toujours ancrée en lui, s’est profondément révélée : «J’étais en Inde pour une campagne promotionnelle, et un journaliste m’a demandé c’était quoi notre cuisine. Ça m’a interpellé.» De retour dans son île, dans sa région, il interroge sa maman sur cette cuisine qui s’oublie : «Elle m’a expliqué des choses, mais elle en avait oublié d’autres.» C’est là qu’il se lance dans un travail de recherche, une étude sociologique de la cuisine de l’Ouest : «J’ai fait mes recherches, j’ai rencontré des gens de 90-100 ans pour parler, pour comprendre…» Il puise aussi dans les souvenirs de son enfance : *«Chez nous, le kari ourit avait la couleur du chocolat à cause de la quantité d’épices utilisée. On y mettait de la papaye. Ça avait deux utilisations. Pour grosi kari (il y avait 10 personnes à nourrir à la maison) et puis, ce fruit est un attendrisseur de chair et à l’époque il n’y avait pas de cocotte-minute !» *

Il se rappelle également de ces pwason soule : «Mon père vendait du poisson, le bon rapportait plus d’argent. Après, on avait ceux qui étaient de moins bonne qualité, ceux qu’on appelait les pwason soule.» C’est pourquoi ses livres évoquent des produits de «troisième catégorie» : «Les produits bas de gamme, ceux qui étaient accessibles à tous, que nous avions en abondance. Aujourd’hui, les choses ont changé. Alors, c’est important de parler de cette cuisine régionale en voie de disparition.» Avec cette reconnaissance signée Gourmand Awards, il pourra désormais faire vivre encore cette cuisine régionale, ici et ailleurs dans le monde. Un rêve devenu réalité pour celui qui a commencé comme plongeur à l’hôtel Paradis, en 1979, il y a appris le métier et s’est fait sa place, à force de passion et d’engagement. Papa de deux enfants, il a, aussi, été formateur pendant de nombreuses années à l’École hôtelière Sir Gaëtan Duval. De toutes ses aventures, il a concocté sa propre réussite. Et elle est bien relevée !

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