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Par Yvonne Stephen
8 novembre 2025 20:13
Des vidéos d’exécutions, des corps sans vie dans les rues d’El-Fasher, des hôpitaux bombardés : les images venues du Soudan glacent le sang. Derrière ces scènes d’horreur se cache une guerre d’une complexité rare, où se mêlent ambitions militaires, fractures ethniques et appétits économiques. L’ONU parle désormais de «la pire crise humanitaire au monde». Raids par drones, bombardements massifs, exactions contre les civils : un quotidien dans l’horreur. Les Rapid Support Forces (RSF) soudanaises, accusées d’atrocités contre les civils, se disent prêtes à accepter une trêve humanitaire de trois mois proposée par le Quad – un groupe réunissant les États-Unis, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite – tandis que l’armée régulière n’a pas encore réagi. Essayons de comprendre ce qui se passe actuellement en se basant sur les informations disponibles dans les médias internationaux...
Deux factions. Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans une guerre civile d’une rare intensité. Deux factions issues du même pouvoir militaire s’affrontent. D’un côté, l’armée régulière (qui incarne l’État central même si le pays est en gouvernance fragmentée) dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane : Sudanese Armed Forces (SAF). De l’autre, une milice paramilitaire menée par le général Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti : Rapid Support Forces (RSF).
Retour en 2019. Le pays est dirigé par le dictateur Omar el-Béchir. Et cela depuis 30 ans, grâce à un réseau militaire et tribal complexe. Les généraux Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo unissent alors leurs forces pour l’évincer. Après sa destitution, une période de transition est ouverte avec un Conseil de souveraineté mixte (des civils + des militaires) qui doit conduire le pays vers des élections démocratiques.
Mais ça échoue ! En 2021, les généraux, qui sont alors alliés, mènent un coup d’État et écartent les civils du pouvoir. Mais leur alliance ne tient pas. En cause ? Des rivalités politiques, religieuses et économiques. Leur affrontement plonge le pays dans une guerre fratricide : l’armée contrôle encore le Nord, l’Est et la capitale Port-Soudan. Les RSF, issues des anciennes milices Janjawid du Darfour, s’émancipent du pouvoir central et dominent le Sud et l’Ouest, où elles mettent en place une administration parallèle à Nyala.
Derrière les tensions politiques se cachent des enjeux économiques et identitaires profonds : contrôle des ressources en or, pouvoir sur les institutions militaires, rivalités entre régions arabes et africaines.
Une réforme. Pour que la transition réussisse post-2019, il fallait réformer le système sécuritaire, c’est-à-dire fusionner les différentes forces armées et milices créées sous le régime Béchir. L’armée d’al-Burhane voulait intégrer les RSF rapidement (moins de deux ans). Hemetti, lui, réclamait 10 ans pour cette intégration, craignant de perdre son pouvoir, son autonomie et ses revenus issus de l’or et de la contrebande. En mars 2023, les discussions ont cessé. Le 15 avril 2023, les RSF ont lancé une attaque surprise contre plusieurs bases de l’armée et l’aéroport de la capitale. C’est l’acte déclencheur de la guerre civile actuelle.
Une guerre qui s’étend. Les combats ont commencé dans la capitale du Soudan, Khartoum, avant de s’étendre à tout le territoire. Fin octobre 2025, la prise de la ville d’El-Facher, au Darfour, a marqué un tournant : les RSF intensifient leur présence de façon croissante sur la quasi-totalité de l’ouest et du sud soudanais. Depuis, la guerre s’est déplacée vers le Kordofan, une zone stratégique riche en pétrole. Les affrontements autour d’El-Obeid et de Kadugli laissent craindre des risques d’une partition de fait du pays : l’armée garderait le Nord et l’Est (notamment Port-Soudan), tandis que les RSF administreraient les territoires à l’Ouest et au Sud.
Une tragédie humaine. Les conséquences sont effroyables. Plus de 12 millions de personnes ont été déplacées, et le double souffriraient d’insécurité alimentaire aiguë, selon des chiffres avancés, qui restent approx. Les ONG rapportent des exécutions sommaires, des viols de masse et des attaques contre des hôpitaux. À El-Facher, au moins 460 personnes ont été tuées dans une maternité, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Un jeu d’influence. Le Soudan n’est pas isolé selon les médias internationaux. L’armée régulière serait soutenue par l’Égypte, l’Iran ou l’Arabie saoudite, tandis que les RSF recevraient l’appui des Émirats arabes unis, du Tchad et de groupes liés à la Russie. Chacun y défendrait ses intérêts : accès à la mer Rouge, contrôle de routes commerciales, ressources minières.
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