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11 avril 2016 02:51
D’un côté, Roshi Bhadain, ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, avocat spécialisé dans les affaires financières. De l’autre, Vishnu Lutchmeenaraidoo, ex-ministre des Finances, catapulté récemment aux Affaires Etrangères, celui-là même qui a marqué les esprits quand il était Grand argentier de 1983 à 1990.
Voilà plusieurs semaines que la tension est palpable, que les deux hommes se dévisagent et se tournent autour, entre deux clashes qui éclatent. Le coup d’envoi de ce match qui secoue le gouvernement a été donné avec l’enquête ouverte par la commission anticorruption sur le prêt de 1,1 million d’euros (Rs 45 millions) accordé par la State Bank of Mauritius à l’ex-ministre des Finances. Selon Vishnu Lutchmeenaraidoo, cette action de l’ICAC découlerait d’une «campagne de dénigrement» initiée à son encontre par le ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance.
Mais lundi dernier, après une longue période de convalescence, quelques messages de détresse lancés sur sa page Facebook et une demande d’injonction pour interdire à la commission anticorruption de l’interroger under warning (rejetée par le juge Asraf Caunhye), c’est un Lutchmeenaraidoo gonflé d’orgueil qui a paradé en premier sur le ring, avec des attaques frontales contre son collègue.
C’est par le biais d’un affidavit juré en début de semaine qu’il est passé à l’action. «A minister “très en vue et très en verve” of the present government has initiated a smear campaign to tarnish and sully my reputation», écrit-il. Avec cette attaque surprise, l’ex-Grand argentier a voulu narguer et destabiliser son adversaire en le décrivant comme l’«honourable minister who has been managing his ministry like the KGB with his arms spread everywhere in most of the ministries, has aspired to become the next Minister of Finance by ousting me by any means from the present government».
Roshi Bhadain, qui n’avait rien vu venir, a riposté avec une citation du Mahatma Gandhi : «I will not let anyone walk through my mind with theit dirty feet.» Une telle situation a suscité les réactions de ceux qui assistent en spectateurs, depuis quelque temps déjà, au bras de fer Bhadain-Lutchmeenaraidoo.
Parmi les premiers à réagir, le Premier ministre sir Anerood Jugnauth qui, dans un communiqué, devait s’imposer comme l’arbitre du duel impliquant deux de ses ministres. Par la même occasion, le PM a dévoilé clairement sur lequel des deux il préfère parier. «Le Premier ministre apporte un démenti catégorique à certaines affirmations contenues dans l’affidavit du ministre Lutchmeenaraidoo (…) et soutient avec force qu’il n’a jamais demandé à être mis au courant du prêt contracté par le ministre auprès de la State Bank et encore moins des conditions de ce prêt», souligne SAJ, mettant en doute les affirmations de son ministre des Affaires étrangères.
Dès lors, suite aux interrogations sur la non-arrestation de l’ex-ministre des Finances (il a été longuement interrogé par les officiers de l’ICAC mercredi et son interrogatoire devrait se poursuivre dans les jours à venir) et le fait qu’il ne démissionne pas, les cris de désapprobation n’ont pas tardé à se faire entendre. Pour Paul Bérenger, le leader de l’opposition, qui a commenté ce match hier, SAJ a perdu «toute crédibilité (…) Il termine sa carrière dans la honte». Selon lui, c’est sans précédent qu’un Premier ministre apporte un démenti à des affirmations contenues dans un affidavit juré par un de ses ministres : «C’est honteux !»Il pense aussi le PM a peur de la tenue d’une élection partielle au n° 7 (Rivière-du-Rempart/Piton).
Cette joute entre deux ministres est diversement commentée. Pour Shafick Osman, géopoliticien, ce match porte un sacré coup au gouvernement : «ça fait désordre. Les gens sont perdus car trop de choses se passent en très peu de temps (NdlR : inculpation de Raj Dayal, accident motel impliquant le PPS Thierry Henry et d’autres affaires).» Selon l’observateur politique, «un pays ne peut faire face à autant d’instabilité après l’affaire compliquée du groupe BAI, les interminables discussions sur la loi dite Bhadain, les interrogations sur Heritage City, les spéculations sur le devenir de Port-Louis, etc. Ce que le gouvernement devrait avoir, c’est un porte-parole qui communiquerait efficacement sur toutes ces questions».
Et comment voit-il la situation évoluer ? «Le Premier ministre doit trancher le cas Lutchmeenaraidoo. Je ne vois pas pourquoi SAJ ne pourrait pas demander au ministre des Affaires étrangères de step downcomme il l’a fait pour Raj Dayal. Il y a un risque de partielle au n°7 si Lutchmeenaraidoo démissionne en tant que député mais le Premier ministre n’a-t-il pas dit qu’il n’avait pas peur d’une partielle ? En tout cas, si cette partielle a lieu, le PTr se battra pour reconquérir ce territoire et l’effet 2003 risque de se produire en cas de victoire rouge. C’est-à-dire, la mise en route pour une victoire aux prochaines législatives.»
Le gouvernement, selon Shafick Osman, doit agir vite : «Ses dirigeants doivent se concerter au plus vite pour savoir ce qu’ils veulent et comment ils envisagent l’avenir. Mais cela dépend aussi beaucoup du jugement de l’appel de Pravind Jugnauth. Si ce dernier perd ou doit porter l’affaire devant le Privy Council, les choses se gâteront pour le gouvernement. Mais s’il gagne, cela pourra être le face-saving devicede l’Alliance Lepep, avec une nouvelle orientation et une nouvelle stratégie du leader du principal parti au gouvernement.»
Suivant aussi ce duel avec beaucoup d’attention, Sangeet Jooseery, consultant en communication politique, nous livre son analyse de la situation : «Lorsque Lutchmeenaraidoo frappe ouvertement Bhadain et que le PM se désolidarise du premier, cela crée une confusion quant au rôle et aux responsabilités de ceux qui nous gouvernent. Surtout quand le PM ne demande pas à Lutchmeenaraidoo de démissionner. Il y a aussi de l’irritation dans la population.»
Selon Sangeet Jooseery, cette affaire ne signe en rien l’arrêt de mort du gouvernement : «Rappelez-vous comment Clinton a ressuscité après l’affaire Monica Lewinsky, et SAJ après l’affaire des Amsterdam Boys. Demain pourrait être meilleur ou pire, selon la façon dont le PM gère le présent. Anerood Jugnauth reste le maître du jeu.»
Pour le consultant en communication politique, une éventuelle démission de Lutchmeenaraidoo ne fragilisera en rien le gouvernement : «Le gouvernement a une majorité confortable au Parlement. S’il perd Dayal et Lutchmeenaraidoo, cela ne changera rien à la configuration politique. L’inquiétude grandissante porte surtout sur le sort qui sera réservé à Pravind Jugnauth.»En attendant, c’est sur l’affaire Bhadain-Lutchmeenaraidoo que tous les regards sont braqués…
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