Il veut rétablir les faits pour continuer le chemin de la sérénité. «J’ai toujours voulu raconter ce qui s’est réellement passé lors de la capture de Rajen Sabapathee. Il y a trop d’informations erronées à ce sujet. Chacun est libre de tirer sa conclusion après», souligne Christian Francis, un ancien élément du GIPM âgé aujourd'hui de 58 ans. Cet ex-sergent a pris sa retraite de la police il y a 11 ans. Il travaille désormais comme Chief Security Officer pour une grande chaîne de distribution après une riche carrière policière marquée par plusieurs événements importants, dont la traque et la capture de Rajen Sabapathee.
Christian Francis a rejoint la force policière en 1987. Il a ensuite fait ses débuts au sein de la Special Mobile Force (SMF) où il a marqué les esprits par ses prouesses physiques. Un an après, il a intégré le GIPM où il a terminé sa carrière après 24 ans. Il a, dit-il, eu la chance de travailler sous le commandant SMF Khemraj Servansing ainsi que sous trois commissaires de police, soit les défunts Raj Dayal et André Feillafé, ainsi que Ramanooj Gopalsingh. C’est d’ailleurs sur les instructions de Khemraj Servansing et d'André Feillafé qu’il a traqué, avec d'autres collègues, le fugitif Rajen Sabapathee.
Il avait été promu sergent depuis quelques mois lorsque celui-ci s’était évadé de la prison de La Bastille, à Phoenix, le 30 juillet 1999, en compagnie d’Alex Antoine Lionel, alias Dr Miko, Mohamad Talat, Clifford Kersley Rioux et Jagessur Dan Ramessur (qui avait reçu une balle dans le dos lors d’une opération ayant mené à sa capture à La Flora et avait succombé à une infection quelques mois plus tard).
À l’époque, l’ancien Mr Mauritius et Mr Indian Ocean était en détention pour une affaire de drogue. «Tous les éléments du GIPM le connaissaient car nous assurions ses déplacements en cour. J’étais en stand-by le jour de l’évasion. Quelques mois plus tôt, Rajen Sabapathee avait déjà fait une tentative d’évasion de la prison de Beau-Bassin. C’est pourquoi il avait été transféré à La Bastille qui est considérée comme une prison de haute sécurité», explique l’ancien sergent. Mais le prisonnier avait tout de même réussi à s'en échapper avec d'autres. Une quintuple évasion qui, en ce temps-là, avait fait les choux gras de la presse. Christian Francis et un autre élément de son unité, ainsi qu’un collègue du Criminal Investigation Division (CID), s'étaient alors vu confier la mission de traquer Sabapathee.
La traque
Au début, la traque du fugitif se faisait dans une voiture. Puis, il y a eu deux véhicules. «Nous avons fait plusieurs filatures en civil. Nous avons appris qu’une personne était régulièrement en contact avec lui. Nous avons pisté cette personne pendant plusieurs jours. Nous avons effectué plusieurs interventions, sans succès. Rajen Sabapathee avait toujours été très rusé. Il n'avait cessé de déjouer nos plans», se souvient l’ex-sergent de police. Lors de sa cavale, l’ancien culturiste de renom a toutefois commis une bévue qui l’a mené à sa perte.
Le 16 janvier 2000, une fusillade a éclaté au domicile de la famille Ragavoodoo à Quatre-Bornes. «C’était un règlement de comptes pour une histoire d’argent», souligne Christian Francis. La police avait déjà eu vent que Rajen Sabapathee allait se pointer chez cette famille de la cité Beau-Séjour. «Nous avions monté une planque là-bas toute la nuit. Plusieurs policiers étaient aux aguets mais il n’est jamais venu. Il était très malin. Il est finalement venu à moto en plein jour, vers 10 heures, accompagné d'un complice. Il avait fait feu avec son arme avant de prendre la fuite. Il y a eu un blessé. Nous avons alors eu la confirmation de sa présence à Maurice. Son épouse avait déjà quitté le pays en douce», précise l’ancien policier.
Sabitree Devi, la femme de Rajen, était également en cavale à l’époque après que la police avait lancé un mandat d’arrêt contre elle. Co-accusée dans la même affaire que son époux, elle ne s’était pas présentée en cour le jour du jugement. Il se chuchotait, à l’époque, qu’elle avait quitté le pays en douce pour échapper à la justice. Pendant les travaux de la Commission d’enquête sur la drogue, un témoin avait laissé entendre qu’elle se trouve désormais dans la Grande Île où elle continuerait à dealer de la drogue sur l’axe Madagascar-Maurice. Ce serait elle qui aurait la responsabilité de recruter des passeurs pour faire le trajet de Tana à Plaisance. Une photo d’elle avec des cheveux courts avait même circulé pour soutenir ces propos.
Quoi qu'il en soit, après la fusillade à Quatre-Bornes à l'époque, la police avait intensifié la traque de son époux. Après un véritable travail de fourmi sur le terrain, les limiers qui pistaient l’ancien Mr Mauritius sont tombés sur un informateur fiable qui a balancé le lieu de sa cachette à Chamarel. André Feillafé, commissaire de police par intérim, avait alors donné les directives à Khemraj Servansing, commandant de la SMF, de monter une opération commando pour capturer le fugitif. «On était à la veille de Thaipoosam Cavadee. Plusieurs unités de la police étaient mobilisées : le GIPM, la SMF, la CID et l’Helicopter Squadron. Il y avait aussi la Very Important Person Security Unit (VIPSU) sous le commandement du DCP Sooroojbally. Nous avions déjà placé des barrages à plusieurs endroits stratégiques pour contrôler l’accès à Chamarel. Le DCP Servansing commandait cette opération de grande envergure qui avait débuté à 22 heures. Nous avions eu notre dernier briefing dans le SMF compound à Vacoas une heure plus tôt.»
La fuite
Les instructions étaient de capturer Rajen Sabapathee «at the first light», soit tôt le matin. «Nous avions placé plusieurs équipes autour de sa cachette après minuit. Nous avions entendu des tirs au loin ce soir-là. Il y avait une partie de chasse dans les environs. J’avais déjà fait les repérages autour de la cachette en compagnie de deux autres collègues. Il était cerné mais il a déjoué une fois de plus nos plans lorsqu’il est sorti au lever du jour pour faire pipi à l’extérieur. La police lui a lancé une première sommation à 5h30 par le biais d’un porte-voix. On lui a demandé de se rendre. Il a riposté en tirant des coups de feu. Il a ensuite pris la fuite en passant par une porte située à l’arrière de sa cachette.»
En réalisant qu’il était fait comme un rat, le fugitif – qui connaissait très bien les lieux – a tenté de prendre la fuite en passant par le toit d’une maison voisine. «Il s’est alors retrouvé face à deux officiers du GIPM. Il n’a pas hésité à faire feu sur eux. Il a touché un au bras et l’autre à l’œil. Il avait un fusil à canon scié sur lui. Il utilisait un calibre 12. Les autres policiers ont riposté en tirant dans sa direction. Rajen Sabapathee est tombé peu après. On ne sait toujours pas qui l’a touché. On s’est ensuite jeté sur lui pour le désarmer. Il était torse nu et portait un short. Il avait un pistolet .22 dans sa poche ainsi qu’une sacoche autour de sa taille qui contenait des balles. Il avait été touché sur plusieurs parties du corps, notamment au bas du ventre et à l'épaule.»
Selon Christian Francis, l’ancien Mr Indian Ocean respirait toujours quand une ambulance est arrivée pour le transporter à l’hôpital Victoria. «J’étais dans ce véhicule en compagnie d’un sergent et d’un autre policier. À notre arrivée à Candos, un médecin a toutefois constaté son décès. Il y a eu une enquête judiciaire après sa mort. Mais il n’y a pas eu de poursuites contre les policiers par la suite. La cour avait statué qu’il n’y avait pas eu de foul play. Rajen Sabapathee était wanted au moment des faits. Il était recherché après son évasion de La Bastille et aussi pour la fusillade à Quatre-Bornes. Je tiens à préciser que la police ne l’a pas abattu froidement comme certains ont voulu le faire croire», martèle l'ancien sergent.
Les circonstances entourant la fin tragique de Rajen Sabapathee ont toujours fait polémique. Les membres de sa famille, par exemple, n'ont jamais accepté la version officielle. «Sa piti-la finn ed boukou dimoun. Li ti fer boukou sosial. So sel erer se ki li ti tro pros ek sertin politisien. Nou finn tann tro boukou kitsoz lor so lamor, akoz sa nou anvi kone kifer zot inn touy li. Eski vremem li ti lenemi piblik nimero 1 kouma lapolis ek bann zournal ti pe dir a lepok ? Eski se parski li ti tro pros ek bann politisien ek li ti konn tro boukou kitsoz lor zot ? Nou pa ti ena kontak ek li ditou kan li ti sove depi prizon me lapolis ti bien fatig nou toulezour. Zot ti mem aret mari mo tifi. Li mem ki ti pe al kit manze Rajen kan li ti dan prizon», nous avait déclaré sa mère Soondron, en 2020, à l'occasion du 20e anniversaire de la mort de son fils.
L'habitante de Stanley nous avait affirmé qu'elle ignorait si son fils Rajen était impliqué dans le trafic de drogue. Elle n’est, hélas, plus de ce monde, depuis le 2 décembre 2023, pour prendre connaissance de la version de Christian Francis, le premier policier qui brise le silence sur cette affaire.
Cinq personnes périssent sous les balles de la police en 20 ans
Le nom de Rajen Sabapathee figure sur une liste comprenant uniquement cinq noms. Il s’agit de ceux qui ont périt sous les balles de la police en l'espace de 20 ans. Ce n’est d’ailleurs pas courant qu’un policier tire sur une personne. Les policiers le font uniquement en dernier recours. La dernière personne en date décédée après que la police lui a tiré dessus est Bhavish Rosun, abattu le 2 janvier 2020 à Henrietta, alors qu’il s’acharnait sur son fils d’un an avec un sabre. Pendant les émeutes de février 1999, trois personnes avaient été tuées par des balles tirées par des policiers : le chanteur Berger Agathe, alors qu’il tentait de calmer les émeutiers, et deux jeunes, Michel Laurent et Leemul Ghoosia. Onze mois plus tard, Rajen Sabapathee a été tué par balle lors d’une opération de capture à Chamarel alors qu’il était en cavale.