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Comment la guerre des gangs s’est transformée en fusillade

28 avril 2014

Des dizaines d’hommes qui débarquent, des coups de feu qui retentissent et un jeune homme qui meurt sous les balles. Non, ceci n’est pas une scène de western ou d’un film d’action. C’est bel et bien une réalité qui s’est déroulée à Maurice, la semaine dernière. L’île est encore sous le choc de cette fusillade qui s’est déroulée à Petit-Verger, St-Pierre, le samedi 19 avril, et qui a fait un mort : Yoven Velangany, 23 ans. Un fait divers horrible qui découle d’une longue guerre larvée entre gangs rivaux de gros bras qui jouent sur le même terrain, à en croire des bouncers des deux côtés qui ont accepté de témoigner.

 

D’un côté, il y a la bande à Steven Mootoocarpen dans l’Est – cet ami de Yoven Velangany est celui qui était supposément visé lors de la fusillade –, menée par un ressortissant africain. Ce dernier, qui vit à Maurice depuis plus de dix ans, gère une compagnie qui propose des services de sécurité privée et organise des soirées privées où il fait venir des artistes de renom. De l’autre côté, il y a le clan de Jean Harel Philippe, dit Harel, qui dirige également une compagnie de sécurité privée dans le Nord. «Il n’est un secret pour personne que cet ancien policier contrôle toute la région de Grand-Baie et d’autres localités. Ses gros bras sont postés dans des maisons de jeux, des discothèques et autres clubs privés», explique un ancien vigile qui fréquente toujours le giron. 

 

Le jeune homme est mort sous les balles.

 

Selon lui, Harel se taille très souvent la part du lion s’agissant des gros événements où des bouncers sont engagés pour assurer la sécurité. Le dernier en date est le concert marquant la fin du Festival Kreol en décembre 2013, où 250 de ses hommes avaient travaillé lors du all night concert. D’après nos informations, le big boss de Bodyguard Co. Ltd, l’une des nombreuses compagnies qu’il dirige, aurait touché Rs 625 000 pour cette nuit musicale. Ses concurrents avancent qu’il obtient de gros contrats car il est très proche de certains ministres du présent gouvernement. Mais il joue la carte de la prudence en travaillant aussi pour l’opposition. D’ailleurs, son bras droit, Robin Saurty, assurait la sécurité du leader du MMM jusqu’au samedi 19 avril.

 

Il y a un peu plus d’un mois, la situation, qui n’était pas au beau fixe entre les deux équipes de bouncers, notamment entre Steven Mootoocarpen et Robin Saurty – le principal suspect dans l’affaire de fusillade –, qui habitent tous deux St-Pierre, a toutefois gravement dégénéré. «Harel et le ressortissant africain ont eu une violente prise de bec, le 1er mars, lors d’une soirée organisée par ce dernier dans un club privé à Grand-Baie et où un artiste martiniquais était en vedette. Des amis d’Harel voulaient entrer sans payer alors que le billet d’entrée était à Rs 700 et à Rs 1 500 en VIP», explique un videur de la bande de l’Est.

 

Échanges de coups

 

Il raconte que Steven Mootoocarpen, qui est en affaires avec l’Africain, était aussi présent ce soir-là. «Il y a eu des échanges de coups entre l’équipe dont il fait partie et celle d’Harel Philippe et de Robin Saurty. Lors de la bagarre, il y a eu des blessés dont Yoven Velangany. Ce soir-là, l’Africain aurait également lancé un défi à Harel lui disant que s’ils voulaient entrer, ses hommes et lui devraient payer leurs billets. Ce dernier n’a pas digéré cet affront devant ses amis», explique un autre bouncer proche d’Harel Philippe. 

 

Steven Mootoocarpen confirme qu’il y a eu une rixe entre ses hommes et la bande rivale. «Il y avait une soirée dans une discothèque du Nord et j’ai eu des différends avec eux ce soir-là», dit-il (voir son témoignage en hors-texte).

 

Depuis, les hommes d’Harel Philippe guettaient, semble-t-il, l’occasion de se venger. Selon nos informations, la veille de la fusillade, Steven Mootoocarpen et le ressortissant africain avaient rencontré Robin Saurty pour essayer de calmer les choses qui menaçaient d’exploser. Mais ce dernier n’aurait rien voulu entendre. Le ressortissant africain et Steven Mootoocarpen n’ont pas souhaité faire de commentaire à ce sujet.

 

Dans le monde des videurs, il n’est un secret pour personne que Steven Mootoocarpen et Robin Saurty étaient en froid depuis plusieurs années déjà. «Il y a deux ans, j’avais porté plainte contre Robin pour agression», soutient Steven. L’agression en question avait eu lieu dans l’enceinte du tribunal de Bambous où Robin avait publiquement giflé Steven. Mais, selon ce dernier, la police n’a rien fait suite à sa plainte.

 

C’est justement une énième bagarre entre les deux hommes le matin de la fusillade qui a attisé encore plus les tensions entre les deux bandes rivales de bouncers. Ils s’étaient rencontrés dans une salle de gym de St-Pierre et en sont venus aux mains après que Robin aurait essayé d’écraser Steven, qui était accompagné de Yoven et d’un autre bouncer, avec son véhicule tout-terrain. À l’issue de la bagarre, Robin avait été blessé à la tête et avait même dû aller se faire soigner à l’hôpital. Il a toutefois refusé qu’on le garde en observation car il devait assurer la sécurité de Paul Bérenger, à Rose-Hill, en début d’après-midi, lors d’un rassemblement du MMM (voir hors-texte à ce sujet).

 

Digérant très mal la petite correction de la matinée, Robin aurait mobilisé tous ses amis gros bras à la fin de la rencontre des Mauves pour l’accompagner à St-Pierre afin de se venger. Robin leur aurait donné rendez-vous à proximité d’un magasin qui commercialise des pièces de rechange pour véhicules. Deux des suspects arrêtés dans cette affaire, à savoir Zair Shakhun et Shadil Oaris, fréquentent très souvent le magasin en question. Tous deux sont soupçonnés d’avoir joué les éclaireurs pour les gros bras avant la fusillade. D’ailleurs, on les voit courir dans la rue après la fusillade sur les images d’une caméra de surveillance d’une quincaillerie de Petit-Verger.

 

La suite de l’histoire, on la connaît : il y a eu une fusillade et Yoven Velangany, l’ami de Steven, a été tué alors que c’est ce dernier qui était visé. Il y aurait eu cinq détonations ce jour-là. La police a d’ailleurs recueilli cinq douilles de la marque Chevrotine de calibre 12 sur les lieux du drame. Le ou les tireurs auraient utilisé un shot gun, plus connu comme un fusil à pompe pour commettre leur forfait.

 

La police a du pain sur la planche pour élucider cette affaire où la réalité dépasse la fiction. Mais aux Casernes centrales, on laisse entendre que les enquêteurs sont sur la bonne voie. 

 


 

 

Zoom sur les suspects clés...

 

Jean Harel Philippe dirige une compagnie de sécurité privée dans le Nord.

 

Jean Harel Philippe  : Le big boss

 

Il sort vraiment du lot. Jean Harel Philippe, très connu dans le monde des gros bras, est quelqu’un qu’on ne présente plus. Après avoir passé dix ans dans la force policière, le directeur de Bodyguard Co Ltd, basée à Grand-Baie, détenteur d’un Merit Award pour outstanding performance en bodybuilding et military training, fait désormais parler de lui pour ses nombreuses frasques. Selon plusieurs témoins, le dernier gagnant du concours Mr Police fait partie des gros bras impliqué dans la fusillade de St-Pierre. Ce qu’il nie, selon ses avocats Sanjeev Teeluckdharry et Siddharta Hawoldar. Le suspect explique qu’il se trouvait au poste de police de Grand-Baie vers 17 heures ce jour-là «pu met so call». Il était en liberté conditionnelle dans une affaire de possession d’armes et de munitions.

 

Robin Saurty est considéré comme le suspect no 1.

 

Robin Saurty : Le bras droit d’Harel

 

Avant de devenir gros bras à plein temps, Robin Sourty était connu comme «enn marsan mercerie» car il vendait des tissus ainsi que des sous-vêtements. Il a été recruté surtout à cause de son physique impressionnant. Cet adepte de bodybuilding n’a pas tardé à se faire remarquer. C’est en 2008 qu’il commence à prendre ses marques, à l’époque où les jumeaux Bhoyroo étaient en détention. Il ferait partie des bouncers impliqués dans la bagarre sanglante opposant des employés d’un hôtel dans une discothèque à Quatre-Bornes. Concernant l’affaire de la fusillade de St-Pierre, le suspect, qui a retenu les services de Samad Gaulamaully, récuse les accusations portées contre lui.

 

Philippe et Benjamin Sansfaçon : Tel père tels fils

 

Jean Philippe Sylvio Sansfaçon, 23 ans, alias Vico, et son frère Benjamin Paul Sanfaçon, 22 ans, sont les fils de Paul Sylvio Sansfaçon, plus connu comme Sylvio Cotoyé, ancien gros bras du MMM. La police est d’avis que les deux frères, qui habitent à St-Pierre, font partie des gros bras qui se sont attaqués à la bande à Steven Mootoocurpen le samedi 19 avril. Dans le millieu des bouncers, Vico est très connu car il fournirait des chiens d’attaque à son clan. Cet adepte de boxe thai est
connu pour être un dur, de même que son frère. 

 

Cristio Philippe : Le présumé tireur

 

Selon plusieurs témoins présents au moment de la fusillade, Jean Eric Philippe, le grand frère de Jean Harel Philippe, serait le présumé tireur. Le suspect, plus connu comme Cristio, a été arrêté à son domicile hier matin. Il nie lui aussi les faits qui lui sont reprochés. Son avocat, Me Amrish Oozageer, avance que son client se trouvait chez lui en compagnie de son épouse au moment de la fusillade. Dans le millieu des gros bras, Christio est très connu pour les coups qu’il inflige à ses adversaires. Il a d’ailleurs plusieurs cas d’assault à son actif.

 


 

Un dixième suspect arrêté

 

Les arrestations se suivent dans l’affaire de la fusillade à St-Pierre. Hier, samedi 26 avril, un dixième suspect, Jean-Eric Philippe, alias Christio, a été appréhendé. C’est le frère de Jean Harel Philippe qui a aussi été arrêté, cette semaine, ainsi que Robin Saurty, Yanick Ludovic Rivière, Zair Shakhun, Shadil Oaris, Jean Philippe Sansfaçon, alias Vico, Benjamin Paul Sansfaçon, Richmond Louis Serge et Bryan Gary Martin.

 

L’enquête est menée par la Major Crime Investigation Team, conjointement avec la Criminal Investigation Division de la Estern Division sous la supervision du Central Criminal Investigation Department. L’ADSU, la Special Supporting Unit et la Special Mobile Force y apportent également un soutien. Le quartier général de la police a mobilisé toutes ses ressources pour faire aboutir cette enquête. 

 


 

Paul Bérenger : «Le MMM n’a rien à voir avec ce qui s’est passé à St-Pierre»

 

Le leader de l’opposition est catégorique : «Le MMM n’a rien à voir avec ce qui s’est passé à St-Pierre.» Cette déclaration fait suite à l’arrestation de Robin Saurty, suspect no. 1 dans l’affaire de la fusillade de St-Pierre, qui faisait partie du service de sécurité du MMM. Selon Paul Bérenger, l’homme est responsable de la garde rapprochée des Mauves depuis deux ans. Le leader du MMM affirme avoir vérifié son casier judiciaire avant de le recruter. «Robin n’avait aucun antécédent. Depuis deux ans, il s’est bien comporté jusqu’à samedi dernier. Il plaide l’innocence dans cette affaire. Nous n’interviendrons en aucune manière auprès de la police ou de la justice. Ce n’est pas dans nos habitudes.»

 

> VIDÉO À VOIR SUR L’EXPRESS.MU

 

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Steven Mootoocarpen, témoin : «J’étais la cible des tueurs»

 

Sa vie, dit-il, ne sera plus jamais la même. Il revoit encore et toujours la même scène d’horreur qui le hante nuit et jour. C’était lui la personne visée et c’est son ami qui a perdu la vie. Depuis la fusillade qui a eu lieu à son domicile, le samedi 19 avril, et qui a vu la mort de Yoven Velangany, celui qu’il considérait comme son frère, Steven Mootoocarpen n’arrive plus à fermer l’oeil. «Je suis traumatisé depuis ce qui s’est produit, j’ai perdu un frère, il était avec moi nuit et jour, je me reprends petit à petit, mais la famille Velengany reste inconsolable», confie Steven, 23 ans et responsable d’une agence de construction. 

 

Pourtant, à l’en croire, ce drame aurait pu être évité. Il soutient avoir été prévenu plus tôt de la présence d’une bande hostile devant son domicile alors qu’il n’était pas chez lui. Il s’y est donc rendu en compagnie de Yoven pour confronter le groupe en question. C’est là que la situation a dégénéré. S’en est suivi un échange de coups de feu dans lequel son meilleur ami a perdu la vie, atteint d’une décharge de chevrotine. Choqué, consterné, triste, Steven, qui a eu la vie sauve, ne peut se résigner à l’issue fatale de ce samedi soir. 

 

Tout laisse croire que c’est un incident survenu le matin même entre Steven Mootoocarpen et Robin Saurty de la bande rivale – ce dernier a d’ailleurs été arrêté car soupçonné d’avoir participé à la fusillade – qui est à l’origine de ce drame. Le conflit entre les deux hommes remonte à quelque temps déjà. Et ce matin-là, Steven Mootoocarpen et Yoven Velangany, qui s’étaient rendus à une salle de gym à Saint-Pierre, auraient eu une confrontation sur place avec le bouncer Robin Saurty. 

 

Selon Steven, ce dernier aurait tenté d’écraser son ami avec son véhicule suite à une altercation, dans le but «de régler un compte qui durait depuis un bout de temps». «Il y a deux ans, j’avais fait une déposition à la police contre Robin pour agression», raconte le jeune homme. C’est suite à cela que tout a commencé. «La police n’a pas pris ma déposition au sérieux et aujourd’hui le pire s’est produit», confie-t-il. 

 

Il y a quelques mois, un autre conflit aurait éclaté entre Steven et la bande de Harel Philippe – arrêté également dans l’affaire de la fusillade –  dont Robin Saurty fait partie. «Il y avait une soirée dans une discothèque du Nord début mars et j’ai eu des différends avec eux ce soir-là. J’ai une entreprise d’agents de sécurité et l’autre bande, qui a pour habitude d’assurer la sécurité dans les boîtes du Nord, m’a vu comme quelqu’un qui empiétait sur son territoire», explique Steven.

 

Depuis, cette équipe de bouncers n’aurait eu de cesse, selon lui, de lui chercher des ennuis. «Le jour du drame, j’ai vu un groupe de 30 personnes se ruer sur moi pour me frapper. Le pire, c’est que la plupart d’entre eux sont des amis à moi», affirme Steven. Hélas, dans la bagarre où se sont mêlées les armes à feu, c’est Yoven qui a été mortellement touché. «C’est moi qui étais visé. Le tireur a raté sa cible et a touché Yoven  de plein fouet», confie Steven. 

 

Il garde de nombreux souvenirs de son plus grand ami. «Yoven travaillait avec moi durant la semaine dans la construction. Les dimanches, il se rendait au marché pour vendre du poisson», raconte-t-il. L’arme ayant servi à le tuer demeure jusqu’ici introuvable. Dix personnes ont été arrêtées et provisoirement inculpées dans cette affaire qui a secoué Petit-Verger et tout le pays. 

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