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20 avril 2015 13:17
Un enfant spécial, avec un cœur tendre. C’est ainsi que ceux qui ont côtoyé la petite Edouarda Eleana Gentil, 11 ans, se souviennent d’elle. Le visage toujours illuminé par son plus beau sourire, elle pétillait de vie et de joie de vivre, disent-ils. Ce, bien que depuis sa naissance, elle n’ait pas été gâtée par le destin. Un destin qui a tourné au cauchemar il y a quelques jours pour la petite qui aurait été enlevée, agressée sexuellement, puis tuée, avant que son corps sans vie ne soit abandonné dans les bois.
Edouarda a disparu dans la nuit du 5 avril, dimanche de Pâques, pour ne plus réapparaître. Les recherches qui se sont multipliées dès le lendemain se sont avérées vaines jusqu’au mercredi 15 avril. Ce jour-là, le cadavre de la fillette a été retrouvé dans la région de Nouvelle-France, soit à environ deux kilomètres de son domicile. L’autopsie n’a pu déterminer la cause de la mort, ni si la petite a été abusée sexuellement, en raison de l’état de décomposition avancée du cadavre. Mais la police n’écarte pas la possibilité du viol, car Edouarda était partiellement dénudée. Selon le Dr Sudesh Kumar Gungadin, Chief Police Medical Officer, elle a aussi été frappée sur le côté droit de sa tête, sans doute avec une pierre, ce qui a provoqué une fracture au niveau de son cou.
Depuis la triste nouvelle de sa mort, ses proches ainsi que tous les habitants de Cité Anoska, où vivait la victime, sont sous le choc. Car tous nourrissaient l’espoir de revoir en vie cette petite fille dynamique qui semait le bonheur autour d’elle malgré des conditions de vie difficiles. Hélas, celle-ci est partie d’une manière atroce, dans des circonstances horribles. Laissant une famille, des amis, des connaissances et toute une île avec un gros chagrin sur le cœur. Ceux qui la connaissaient bien lui rendent un vibrant hommage.
Échecs académiques
Née le 19 février 2004, Edouarda, aussi connue comme Eleana, a vu le jour à Cité Anoska, à 16e Mille, Forest-Side. Peu de temps après sa naissance, sa mère Mirella, qui est séparée de son père depuis avant sa naissance, la confie à ses grands-parents maternels, Claudette et Michel. «J’avais déjà mon fils Howard, alors âgé de 2 ans, à ma charge. Mes parents ont volontairement proposé de s’occuper d’Edouarda. J’ai accepté», raconte péniblement Mirella, la tête recouverte d’un voile noir. En l’absence d’un berceau et en raison de l’espace très limitée de la maisonnette en tôle de ses grands-parents, composée de deux pièces, c’est sur leur lit que la petite fait ses nuits.
En grandissant, confie son entourage, Edouarda se révèle être une enfant douce, calme et attachante. À l’âge de 3 ans, lorsqu’elle fait son entrée à l’école maternelle, elle s’attache aussitôt à son enseignante et l’appelle affectueusement Baboo. «Elle adorait cette enseignante. D’ailleurs, c’est cette dernière qui s’est occupée de son inscription à l’école primaire de Midlands», se souvient la maman d’Edouarda, perdue dans ses pensées. Toutefois, une fois en primaire, la petite se classe parmi les élèves peu performants et échoue à presque tous ses examens. Cela a encore une fois été le cas pour le premier trimestre de cette année, alors qu’elle devait prendre part aux examens du Certificate of Primary Education à la fin de 2015.
Si, sur le plan académique, elle rencontre des difficultés, la fillette se démarque de ses petits camarades lorsqu’il s’agit des activités extrascolaires. «Edouarda adorait dessiner et était très douée. Elle faisait de beaux dessins. Elle aimait aussi réciter des poèmes et avait même participé à un concours de slam organisé par le ministère de l’Éducation l’année dernière. Le concours avait eu lieu au niveau national et comme chaque participant, Edouarda avait reçu un prix d’encouragement», raconte l’enseignante de celle qui rêvait de faire de beaux dessins toute sa vie.
Généreuse
Edouarda Gentil, c’était aussi une fille au grand cœur qui n’hésitait pas à aider les autres. Ainsi, à l’école, à l’heure de la récréation, elle se rendait quelques fois dans la cantine pour proposer ses services afin de ranger les boîtes de friandises. Une cantinière s’en rappelle. «C’était comme un jeu pour elle. On la laissait faire, car elle était tellement attachante. Ce petit jeu ne durait pas plus de cinq minutes. Et comme elle n’achetait jamais de gâteau, contrairement aux autres élèves, sans doute par manque de moyens, on lui donnait toujours une sucrerie ou un gâteau à grignoter.»
Sam (prénom modifié à la demande de l’intervenant) se souvient aussi très bien d’Edouarda qu’il a côtoyé pendant ses premières années d’école primaire à Midlands. Du coup, l’annonce de son décès l’a plongé dans une grande tristesse. S’il occupe un autre poste dans un autre établissement aujourd’hui, la tragédie qui s’est jouée à Cité Anoska l’a plongé dans un grand désarroi : «Ça m’a secoué. Quand j’ai quitté l’école, elle était en Std III.» Il connaissait la «situation familiale» d’Edouarda, explique-t-il. D’ailleurs, une fois, elle s’était blessée à l’école et il l’avait emmenée à l’hôpital, puis ramenée chez sa grand-mère : «Elle était très pauvre. Son frère et elle vivaient avec leur grand-mère. Ce que je sais, c’est que leur maman les y avait laissés quand ils étaient bébés.»
«Petite fille négligée»
C’est avec son frère, se souvient-il, que la petite fille allait à la messe, à pied, chaque dimanche, à l’église Sainte-Thérèse. Edouarda était une «petite fille négligée» comme les autres, dit-il : «Comme celles qui évoluent dans des conditions peu favorables. L’éducation n’était pas une priorité. Elle ne pouvait pas apprendre trop bien. Mais elle était joviale et attachante.» Selon Sam, à l’école de Midlands, il y a un groupe d’enfants venant de Cité Anoska qui est dans le même cas : «Ils sont mal lotis. C’est dommage.»
Malgré cela, c’est avec joie que cette cadette d’une fratrie de quatre enfants retrouvait ses petits camarades du quartier chaque après-midi autour de ses jeux préférés : coquille-papillon et cache-cache. Et, selon ses proches, elle menait une existence plutôt heureuse, bien que dans des conditions difficiles, entourée de ses proches : sa maman Mirella, laboureur dans un champ de légumes, ses grands-parents maternels, son frère aîné, ses petites sœurs et les autres membres de la famille, qui habitent Cité Anoska.
Toutefois, au fil des années et à chaque événement important de sa vie – son baptême, sa première communion, sa confirmation, ses anniversaires, les fêtes de Noël et autres –, une personne manque à l’appel : son père Christopher Gentil. Nous l’avons rencontré le jour de l’enterrement de la petite. «Je me suis séparé de sa mère avant la naissance d’Edouarda à cause de quelques problèmes, confie-t-il d’une voix cassée. Je n’étais pas proche de ma fille et je ne la voyais jamais. Aujourd’hui, je regrette de ne pas l’avoir connue et de ne pas avoir noué des liens avec elle. Celui qui l’a tuée doit payer.»
Quoi qu’il en soit, Edouarda était une boule d’énergie et avait une vie bien remplie pour une enfant de son âge. Ainsi, après ses heures de classe à l’école primaire de Midlands, elle se rendait chaque après-midi au centre de sa localité pour des activités extrascolaires dispensées par l’ONG Ti Rayon Soleil. Francine, membre de cette association, témoigne. «Elle était toujours contente de faire des activités et se prêtait facilement au jeu. Je l’ai vue pour la dernière fois le 2 avril lors d’une activité. Elle sautait à la corde et était toute souriante. À la fin de cette activité, elle a même fait une petite carte pour me remercier.»
«Peine de mort»
Elle faisait également partie du mouvement Action Catholique des Enfants de la paroisse de Sainte-Thérèse, à Curepipe. «Elle allait à ses réunions chaque samedi au centre de la localité. Parfois, elle se rendait à Curepipe aussi pour les grands rassemblements de ce mouvement», confie une proche.
Cette petite fille «débrouillarde» aimait aussi les choses simples de la vie. Ainsi, lorsqu’on demande à Mirella Gentil quel était le plat préféré de sa fille, elle nous confie qu’elle aimait par-dessus tout un bon «toufe brede chouchou» qu’elle préparait elle-même. «Elle savait cuisiner quelques plats simples et qu’elle aimait manger. Comme un toufe brede chouchou, un œuf miroir, un mine apollo ou un curry de viande.» Malheureusement, elle ne pourra plus jamais goûter à ces petits plaisirs de la vie. «Le ou les meurtiers de ma fille méritent la peine de mort pour toute la barbarie commise sur ma fille. Je demande au gouvernement de réintroduire cette mesure», assène Mirella.
Sa dernière journée
Le dimanche de Pâques, la fillette s’est réveillée à 5h30 comme à son habitude. Elle a pris son bain et son petit déjeuner composé d’un morceau de pain beurré et d’une tasse de thé. Ensuite, elle s’est revêtue de sa robe à fleurs rose avant d’aller à la messe à l’église Sainte-Thérèse où avait aussi lieu le baptême de l’enfant de sa voisine. «De retour à la cité, elle m’a rejointe chez la voisine en question. Elle a déjeuné. Le menu était composé d’un curry de poulet et de pommes de terre, accompagné de riz blanc. Ensuite, elle a aidé à gonfler les ballons et c’est elle-même qui les a suspendus. Dans l’après-midi, elle s’est changée pour enfiler un T-shirt vert et un short blanc», précise la mère de la gamine.
À la fête, ce soir-là, elle a dansé sur des ségas en compagnie des autres enfants. Sa maman Mirella était occupée dans la cuisine. Puis, à un moment, elle est sortie pour saluer son grand-père paternel, Pierre Gentil (voir hors-texte), qui était venu dans le coin. C’est la dernière fois qu’on l’a vue vivante. Pendant 10 jours, la police et les proches d’Edouarda ont multiplié les battues dans les environs, sans rien trouver.
Et le mercredi 15 avril, lorsque son corps sans vie a été découvert, l’île entière a crié sa douleur. Certains sont même allés jusqu’à réclamer la peine de mort pour les coupables. Mais tuer les coupables est-ce la solution pour régler un problème de société aussi profond ? Après le choc et la révolte, l’heure est plutôt à la réflexion. Comment peut-on prévenir d’autres drames de ce genre ? Comment empêcher que d’autres petits innocents ne soient souillés et tués ? Que faire pour que d’autres parents ne se retrouvent pas à pleurer amèrement leur petit ange parti dans des conditions atroces ?
Bruneau Woomed, de Men Against Violence : «Miser sur la prise en charge des agresseurs»
Pour Bruneau Woomed, il faut prévenir les risques de récidive chez les agresseurs par des méthodes de réhabilitation. «Il n’existe aucune prise en charge des agresseurs sexuels et physiques à Maurice. Or, on voit que, souvent, ce sont des personnes déjà fichées à la police qui commettent des actes barbares une fois remises en liberté. Il leur faudrait un encadrement et une prise en charge, car ce sont des individus dangereux et malades», dit-il, en affirmant haut et fort que ce n’est pas la peine de mort qui empêchera les agresseurs de passer à l’acte. «On a tendance à réagir à chaud après un meurtre, surtout lorsque la victime est un enfant. On fait des manifestations, entre autres. C’est très bien. Mais il faut aussi des actions concrètes à mener dans la durée.»
Rita Venkatasawmy, directrice du CEDEM : «Investir davantage dans la protection des enfants»
Malgré les efforts fournis jusqu’ici pour la protection des enfants, Rita Venkatasawmy estime que tout reste à faire dans ce domaine. «J’ai un sentiment d’échec malgré tout ce qui a déjà été fait. Il faut investir davantage dans la protection des enfants», dit-elle. «Notre société est en train de produire des monstres. Après le meurtre d’Anita Jolita et de Joanick Martin, j’avais l’espoir que ces crimes barbares n’allaient pas se répéter sur d’autres enfants. Mais hélas. Un psychopathe est toujours indifférent à la souffrance de sa victime et n’a aucune émotion», souligne la directrice du CEDEM.
Rita Venkatasawmy, qui accueille quelques enfants de Cité Anoska au sein de son établissement, les décrit comme des êtres extraordinaires. «Ils sont solidaires dans la pauvreté. Chaque enfant de cette cité a le don de savoir prendre grand soin des plus petits que lui, car il est livré à lui-même.» Le meurtre de la petite Edouarda, confie-t-elle, l’a choquée, comme la plupart des Mauriciens. «Deux jours après sa disparition, je me disais bien qu’on allait la retrouver morte, même si une partie de moi voulait croire le contraire. L’abus sexuel se répand un peu partout, mais lorsqu’il est associé à un meurtre, c’est encore plus révoltant.»
La ministre Aurore Perraud : «C’est la responsabilité de tout un chacun»
«Il est temps que le pays se sente concerné par la protection des enfants, c’est la responsabilité de tout un chacun.» Dixit Aurore Perraud lors d’un point de presse hier, samedi 18 avril, pour commenter le drame de Cité Anoska. Pour la ministre de l’Égalité du genre et du développement de l’enfant, la tragédie que l’île Maurice vient de vivre est un traumatisme à l’échelle nationale.
«Personne ne peut rester indifférent à cela. C’est le choc et chacun prendra son temps pour faire son deuil, l’émotion prend le dessus, mais la raison doit avoir le dessus sur la passion», a-t-elle déclaré en soulignant que la mort de la petite Edouarda rappelle celles de la petite Anita Jolita, à Mahébourg en juillet 2005, et de Joanick Martin à Cité Richelieu en septembre 2010. Aurore Perraud dit espérer que les coupables seront punis et que «le juge donnera au perpetrator la peine maximale».
Elle assure que son ministère travaille en étroite collaboration avec la police pour assurer la sécurité et la protection des enfants : «C’est la priorité des priorités.» Pour la ministre, il faut aussi attaquer le problème à la base. «The roots cause, c’est l’extrême pauvreté, car bon nombre de personnes vivent dans des conditions précaires, et les enfants sont exposés au danger constant et à l’insécurité. Ils deviennent des proies faciles pour les prédateurs.» Pour Aurore Perraud, «le cas de Cité Anoska n’est pas isolé, il existe beaucoup d’endroits comme cela à Maurice».
Textes : Laura Samoisy et Sabine Azémia
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