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Paul Bérenger au n° 19 : une reconquête douce-amère

Le chef du MMM a livré un discours posé, calme, sans hargne ni enthousiasme à ses partisans.

Le leader du MMM est revenu en force dans sa circonscription de longue date ! Passant de sa troisième position si tragique en 2014 à sa traditionnelle première place avec une bonne longueur d’avance sur les autres. Mais il n’a pu faire élire sa colistière Jenny Adebiro et le MMM n’a pas beaucoup d’élus au niveau national. Sa joie se teinte de tristesse.

Il se tient droit, le visage tantôt sérieux, tantôt arborant un sourire mi-figue, mi-raisin. Il a l’air fatigué, las. Il regarde et salue ses partisans en liesse mais le cœur ne semble pas totalement y être. À ses côtés, à l’étage de l’école Notre-Dame-des-Victoires, au moment de la proclamation des résultats du n° 19 (Rose-Hill/Stanley) vers 18h30, ses colistiers Deven Nagalingum, lui aussi avec un petit sourire, et Jenny Adebiro, la mine triste, les yeux rougis et gonflés d’avoir pleuré.

 

Paul Bérenger évite de regarder à sa gauche. Là où se tient son frère ennemi, Ivan Collendavelloo arborant un grand sourire. Celui-là même qui avait jeté le MMM au n° 19 en 2014, sortant en tête de lice, suivi de sa colistière Fazila Daureeawoo-Jeewa, reléguant son ancien leader à la troisième place. Cette fois, le chef du MMM est revenu en première position, loin devant son colistier Deven Nagalingum et Ivan Collendavelloo qui a quitté le MMM en 2014, un peu avant les législatives, pour aller fonder le Mouvement Liberater (ML) et s’allier au MSM. Mais pour Paul Bérenger, cette reconquête de son fief de toujours s’accompagne d’un goût amer car elle n’est pas totale. Il n’a pas pu faire élire sa colistière, la néophyte Jenny Adebiro, et le nombre d'élus mauves dans les autres circonscriptions est plutôt maigre (à ce moment-là, le chiffre oscillait entre 8 et 9).

 

N’empêche, Deven Nagalingum et lui ont remporté la mise et après la proclamation des résultats par le Returning Officer, et ce sans micro, avec les partisans du MMM et de l’Alliance Morisien (surtout du ML en fait) qui font un boucan pas possible dans la cour, il tient à s’adresser à l’assistance. «Me pena mikro», lance-t-il avec un mouvement des mains dépité à ses militants qui réclament à cor et à cri le traditionnel discours tandis que les partisans d’Ivan Collendavelloo huent le leader du MMM et leurs anciens frères (et sœurs) d’armes.

 

Finalement un micro apparaît, que Paul Bérenger arrache presque des mains de celui qui le tient. Son discours est posé, calme, sans hargne ni enthousiasme. «Mersi. Mo dir zot mersi an mo nom e nom mo kolistie Deven ek mo zenn ser Jenny. Mo remersie elektora n° 19. O nivo nasional, an tan e lie, mo pou fer komanter. Mo demann ki rezilta respekte par tous san amertim. Lil Moris avan tou», dit-il tout simplement avant de passer le micro à Deven Nagalingum. Ce dernier remercie lui aussi les partisans mauves et les habitants du n° 19 pour leur soutien : «Nou inn fer enn kanpagn prop, dan la disiplinn. Tou inn bien pase avek nou bann adverser. Nou pou fer tou pou bien reprezant Beau-Bassin/Rose-Hill ek kontribie o devlopman lavil. Ansam, nou kontign le komba.»

 

C’est maintenant au tour d’Ivan Collendavelloo de prendre la parole, lui aussi hué par les militants et ovationné par ses partisans. Le bruit est assourdissant et on arrive à peine à l’entendre. Il garde le sourire. Sa joie et son soulagement sont palpables. Il l’a échappé belle car tout au long du counting, l’écart était serré entre la deuxième, la troisième et la quatrième places. À un moment, il se chuchotait même qu’il n’allait pas être parmi les trois élus. Mais il y est et il est heureux, ainsi que ses suiveurs. «Nou dan gouvernma, nou dan gouvernma !» hurlent ces derniers à gorge déployée en agitant leurs drapeaux orange et blancs. Fazila Daureeawoo-Jeewa et Seety Naidoo de l’Alliance Morisien sont tombés mais les partisans sont contents qu’Ivan Collendavelloo soit passé.

 

Toujours avec son éternel sourire, le leader du ML se lance : «Mo felisit mo bann adverser Paul Bérenger ek Deven Nagalingum. Mo remersie tou dimounn kinn soutenir mwa, sirtou bann madam, mo bann azan, campaign managers, lapolis, la komision elektoral. Mersi osi a mo bann adverser. Ti ena enn gran lespri kanaradri – pandan sa kampagn la ek sa eleksion-la. Bravo a tou bann Morisien ek Morisienn !» Voilà, c’est fini ! Les jeux sont faits. Il est temps que chacun s’en aille de son côté. Dans la cour, les deux camps, les anciens frères devenus ennemis, toujours aussi en forme, s’affrontent toujours à coups de boutades. C’est à qui fera le plus de bruit. Heureusement, malgré tout, l’ambiance est plutôt bon enfant.

 

En descendant, les leaders et candidats respectifs sont happés par leurs partisans qui leur font fête. Pendant que Paul Bérenger, bien entouré, s’en va avec le sourire, ainsi que Deven Nagalingum, Jenny Adebiro lâche encore quelques larmes, elle aussi bien entourée des siens. Ivan Collendavelloo, lui, demande à ses partisans d’attendre le week-end pour «pran enn lasante». La circonscription n° 19 a fait son choix. Elle a voulu de Bérenger mais aussi de Collendavelloo. L’un rit avec tristesse, l’autre rit de soulagement. Pour le leader du MMM, cette reconquête du n° 19 s’accompagne définitivement d’un goût amer.

 


 

Une longue et troublante attente

 

Les premiers chiffres au n° 19 tombent peu après 13 heures. À l’école Notre-Dame-des-Victoires, comme dans les autres circonscriptions de l’île, les counting agents et personnels de la commission électorale sont à pied d’œuvre pour compter les votes des Mauriciens. À Rose-Hill, les choses sérieuses ont commencé vers 10 heures. Avec leur système de comptage archaïque, l’exercice avance lentement, très lentement. Quelques candidats de l’Alliance Morisien et de l’Alliance Nationale, accompagnés de leurs agents, sont là et passent de classe en classe pour s’enquérir de la situation. Les candidats mauves, eux, jouent les abonnés absents. Seuls leurs agents sont là.

 

Les rumeurs vont bon train. D’après les premières estimations, deux candidats mauves, dont Paul Bérenger, sont en tête et un candidat du MSM. Mais on ne sait pas si c’est Ivan Collendavelloo ou Fazila Daureeawoo-Jeewa. Peu après 13 heures, les premiers chiffres officiels sont affichés. Paul Bérenger est largement en tête, suivi de Deven Nagalingum, Ivan Collendavelloo, Fazila Daureeawoo-Jeewa et Jenny Adebiro. Entre ces quatre-là, l’écart est très minime, les mettant sur la brèche. Alors qu’Ivan Collendavelloo a quitté l’école bien avant que ces premiers chiffres soient affichés, suivi de son colistier Seety Naidoo un peu plus tard, Fazila Daureeawoo-Jeewa reste sur place avec sa famille. Danisha Sornum de l’Alliance Nationale est aussi présente avec ses agents.

 

À mesure que la journée passe, on attend le second pointage. Vers 14h30, Ivan Collendavelloo débarque à nouveau. Il sourit mais ne pipe mot. Vers 15 heures, des counting agents avancent discrètement que l’exercice de comptage est bientôt fini et que les résultats finals seront connus vers 16h30. En effet, les policiers commencent à placer les barrages pour retenir les partisans qui afflueront à l’heure de la proclamation des résultats. Alors que les partisans mauves commencent déjà à s’amasser à l’extérieur. Une folle rumeur commence à circuler. Le MMM serait en tête avec 3-0. Les agents du MMM à l’intérieur de l’école hurlent 3-0 pendant que la petite foule dehors s’agite et s’excite. Ivan Collendavelloo passe, faisant un signe de la main comme pour dire au revoir aux agents mauves qui le huent. Tout le monde croit que la partie est gagnée.

 

Le leader du ML se dirige à l’étage et disparaît pendant un bon moment. Il se chuchote qu’il demande un recount – ce qui sera démenti à la fin de la journée par le Returning Officer. Vers 16h30, Jenny Adebiro arrive à l’école accueillie chaudement par les Mauves. Elle a l’air heureuse et se rend dans une salle de classe au premier étage. Le Recap Room, là où se trouveraient également Ivan Collendavelloo, Seety Naidoo, Fazila Daureeawoo-Jeewa et le Returning Officer. Les rumeurs de 3-0 s’amplifient encore. Puis changent subitement : ce serait 2-1 (Paul Bérenger, Deven Nagalingum et Ivan Collendavelloo). Personne ne sait plus quoi penser. En même temps, quelques partisans du ML ont rejoint ceux du MMM dehors et c’est à qui criera le plus fort.

 

L’attente est longue, le suspense quasi-insoutenable. Deven Nagalingum arrive lui aussi. Mais où est Paul Bérenger ? se demandent tous. C’est la confusion totale. Un peu avant 18 heures, Daniella Bastien, la responsable de communication du MMM, fait son entrée et se dirige directement au premier étage. Suivie de près par le leader mauve acclamé par ses partisans. Paul Bérenger sourit mais il a l’air fatigué. Lui aussi se rend en haut. La vague mauve-orange grossit dehors, toujours aussi bruyante. Pendant que le camp du ML hue celui du MMM, Daniella Bastien, à l’étage, leur lance : «2-1 ! Isi pou nou !» Peu après, les partisans des deux camps sont autorisés à entrer dans la cour de l’école, c’est la ruée, les gens courent, crient, agitent leurs drapeaux. Pendant que les élus et le Returning Officer rejoignent le poste de proclamation au premier étage. Les jeux sont faits. Manque plus qu’à annoncer le résultat.

 

Textes : Michaëlla Coosnapen-Gentil, Francesca Sookahet, Elodie Dalloo