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25 mai 2015 02:34
Reshma*, 15 ans, souffre de la scoliose. Cette maladie, qui se caractérise par une déviation graduelle de la colonne vertébrale, lui a été diagnostiquée l’année dernière. Depuis, cette adolescente, que sa mère Anita* décrit comme «timide et réservée», doit porter une prothèse qu’elle enfile sous son vêtement. Celle-ci permet de maintenir sa colonne vertébrale dans la même position. Mais depuis quelque temps, Reshma était devenue la risée de quelques élèves de son collège. Chaque matin, dès qu’elle franchissait l’entrée de son établissement scolaire, elle se faisait traiter de «handicapée», de «moins que rien», entre autres. Pour ne plus subir ces moqueries, elle avait même décidé de ne plus mettre sa prothèse, quitte à fragiliser davantage son état de santé.
Ce n’est pas pour autant que son calvaire a pris fin. Reshma a continué à être humiliée et à souffrir en silence, sans dire un mot à ses enseignants. Encore moins à sa mère qui l’élève seule depuis que son père est décédé il y a environ neuf ans. Mais le vendredi 15 mai, Reshma a fini par craquer alors même qu’elle se trouvait dans l’enceinte de l’école et a ingurgité un produit toxique dans l’intention de mettre fin à sa vie. Elle voulait surtout mettre fin à l’immense souffrance engendrée par toute cette méchanceté dont elle dit avoir été victime. L’adolescente a passé 48 heures à l’hôpital avant d’être autorisée à rentrer chez elle. Depuis, elle essaie de se remettre physiquement et moralement.
«Ces filles qui m’humiliaient étaient, il y a peu, mes meilleures amies», avoue Reshma qui n’arrive pas à s’expliquer le changement d’attitude de ces filles qui étaient, pour elle, comme des «sœurs». «Elles me traitaient de handicapée à cause de la prothèse que je portais et m’avaient complètement mise à l’écart. Plus personne ne me parlait. Cela m’était devenu insupportable et je ne savais pas comment expliquer ce que je vivais à un adulte», confie-t-elle d’une petite voix. Traumatisée, elle ne veut plus retourner dans cet établissement scolaire où elle a connu une violence qui a balayé tous les moments positifs qu’elle a passés en ce lieu, en un temps record. Tout ce qu’elle conserve de son passage là-bas, ce sont ces épisodes noirs où elle a connu l’humiliation et l’exclusion.
Revanche
«Nos années d’école sont censées composer les meilleurs souvenirs de notre vie. Mais pour moi, c’est le contraire.» Soutenue par sa mère Anita, l’adolescente veut toutefois prendre sa revanche sur ce coup du sort en poursuivant ses études dans une autre institution. Un pari loin d’être gagné. «J’ai déjà entamé des démarches pour la faire transférer. Mais j’ai essuyé un premier refus d’une institution. Quoi qu’il en soit, la PSSA m’aide de ce côté. Mais je m’inquiète, car ma fille ne peut pas rester à la maison trop longtemps, d’autant que l’on est au deuxième trimestre», souligne Anita.
Après la tentative de suicide de sa fille, elle s’est vue dans l’obligation de prendre cette décision, d’autant que, dit-elle, l’institution où sa fille était admise n’aurait pas agi dans l’intérêt de son enfant. Elle a reçu une lettre en date du 15 mai, soit le jour de la tentative de suicide de sa fille, faisant état que cette dernière devait rester chez elle en attendant qu’une solution soit trouvée à son problème. Sa faute, selon la direction de l’école : avoir apporté une bouteille de Yop contenant apparemment du Javel à l’école, alors que les élèves n’ont pas le droit d’emmener de telles boissons dans cette institution, et d’avoir bu cette substance nocive en classe alors qu’il est interdit de boire en classe. L’institution enjoint donc Anita de faire admettre sa fille dans une autre institution secondaire pour l’année 2016 afin de protéger les intérêts des autres élèves (voir la lettre en hors-texte).
Cette lettre a mis Anita dans tous ses états. «Cette institution ne se rend-t-elle pas compte que ma fille aurait pu mourir, que le moment était mal choisi pour rédiger une pareille lettre ?» se demande-t-elle, révoltée. Contactée concernant toute cette affaire, la directrice de l’école a simplement déclaré qu’une enquête a été ouverte pour déterminer si réellement Reshma était victime de harcèlement : «Elle pourra retourner à l’école dès que l’enquête sera terminée. Mais sa mère a fait une demande pour qu’elle soit transférée ailleurs.» Elle n’a pas voulu en dire plus. La direction a envoyé un communiqué par la suite (voir voir hors-texte).
Entre trouver une nouvelle école pour son enfant et s’occuper du bien-être de celle-ci, cette mère de famille ne sait plus comment faire. «Ma fille a été prise en charge par une psychologue. De mon côté, je vais l’encadrer du mieux possible. À la maison, elle n’a aucun problème. Ce sont les moqueries qu’elle subissait à l’école qui l’ont mise dans un tel état.» Tout ce que veut Anita maintenant, c’est trouver une nouvelle école pour son enfant et que celle-ci puisse continuer ses études.
Aux élèves qui se sont moquées de sa petite Reshma, elle n’a qu’une chose à dire : «Ne faites plus jamais ça à d’autres élèves !» Afin que d’autres adolescents ne tentent pas de mettre fin de la même manière que sa fille aux souffrances engendrées par les agressions verbales ou mêmes physiques, les moqueries, les insultes, les méchancetés gratuites. La jeune Reshma, elle, essaie tant bien que mal de surmonter cette douloureuse épreuve en espérant ne jamais connaître un tel enfer.
(*Prénoms modifiés)
Dear Madam,
Kindly note that
(1) Students have no right to bring Yop, soft drinks or juices at school. Only water is allowed. Today, your daughter brought a bottle of Yop at school which did not contain Yop but it is presumed that there was Javel solution in it.
(2) Students have no right to drink in class and yet she drank.
(3) Her actions of today in class after having consumed what she brought have negative impact on students and could have been very serious.
In order to protect the interest of other students, you are requested by the manager to look for another school for year 2016. You are advised to keep your ward at home until things are sorted out.
Yours faithfully, Rector
Suite à la tentative de suicide de Reshma le 15 mai, la direction de ce collège des Plaines-Wilhems s’est expliquée à travers un communiqué de presse. Tout en réservant le droit de ne divulguer aucun détail sur l’incident pour ne pas aller à l’encontre de sa déontologie, la direction avance que, quand des cas sérieux sont rapportés, tels que des abus divers, de la violence familiale, des idées ou des tentatives de suicide, le management met immédiatement en place un soutien à plusieurs niveaux. «Parler officiellement à l’élève, parler officiellement à la famille, faire une enquête interne, rapporter le cas officiellement au ministère de l’Éducation et à la PSSA, faire une demande officielle à la PSSA afin que l’enfant ait accès à un soutien psychologue du ministère», peut-on lire dans le communiqué. Et que lorsqu’un élève semble avoir besoin d’une surveillance rapprochée, comme c’est le cas quand un désir de suicide est rapportée, «le management demande aussi aux parents que l’enfant reste à la maison en attendant l’intervention d’un psychologue».
Son histoire avait fait la Une de notre édition de la semaine dernière. Elle, c’est Kelly, 15 ans, qui a été agressée par cinq de ses camarades de classe durant la récréation. Admise depuis à l’hôpital, elle a subi une batterie de tests et se remet lentement de son agression en attendant de pouvoir rentrer chez elle. Ses présumées agresseurs ont été présentés en cour cette semaine sous une charge provisoire d’agression avec préméditation. Ces collégiennes ont dû fournir chacune une caution de Rs 2 000 pour retrouver la liberté. Traumatisée, Kelly ne veut plus se rendre dans cet établissement scolaire. «Je recherche actuellement une école pour elle», avance sa mère. À Port-Louis, c’est une autre jeune fille qui se retrouve avec un bras plâtré pour avoir été rouée de coups par ses camarades de classe. Elle raconte que des élèves s’en sont prises à elle parce qu’elle les avaient rapportées auprès de la direction du collège. La raison : elle avait surpris plusieurs filles en train de fumer. L’adolescente souhaite aussi changer d’école.
Il avait un ultime souhait. Celui de changer d’établissement scolaire. Mais le vœu de Nitish, 16 ans, n’est pas devenu réalité. À cause de cela, il a fini par se donner la mort. L’adolescent ne pouvait plus supporter les moqueries incessantes de ses camarades de classe qui ne rataient pas une occasion de l’humilier verbalement et physiquement. Changer d’établissement était devenu vraisemblablement la seule échappatoire qu’avait trouvé Nitish pour fuir tout cela. Hélas. Ses parents reconnaissent aujourd’hui ne pas avoir été suffisamment à l’écoute de leur fils qui avait besoin d’aide. Rongés par le remords et le chagrin, Ravi et Devi Teeluck, des habitants de Bambous, se sentent désormais responsables de la mort de leur petit Nitish, parti tragiquement le 27 janvier.
«Il nous disait maintes et maintes fois qu’il voulait changer d’école, car ses amis se moquaient de lui. Mais on ne savait pas l’ampleur de la situation. Il était en Form IV et le troisième trimestre était proche. On lui a demandé d’être patient, de terminer ses examens ainsi que le School Certificate dans le même établissement, et que plus tard, on avisera. Il a accepté sans rien nous dire davantage», raconte Ravi en se remémorant ce triste épisode. Sa femme Devi ne s’est pas remise non plus du décès de son fils. D’ailleurs, dit-elle, les conversations familiales tournent toujours autour de Nitish.
«On se sent responsables de sa mort. Car on n’a pas été suffisamment attentifs. Renvoyant notamment à plus tard une visite dans son école pour savoir ce qui s’y passait vraiment. À cette époque, le travail passait avant toute chose et aujourd’hui, je regrette amèrement. Si je pouvais retourner en arrière, je le ferais, hélas», confie Devi.
Puis, il y a aussi ces nombreux signes que Ravi et Devi n’ont pas su voir. Pour cause, une semaine avant de se donner la mort, Nitish s’était replié sur lui-même et ne s’était pas rendu à l’école. «Il disait qu’il souffrait de douleurs et qu’il ne se sentait pas bien. Puis, il y avait ces deux coupures sur son visage. Il était toujours devant son ordinateur, les écouteurs branchés aux oreilles et ne se rendait plus à ses entraînements de football. Bref, il avait pour ainsi dire perdu goût à la vie. Mais on l’a compris trop tard», soupire Devi en ne quittant pas des yeux son époux. Parents de trois autres enfants âgés de 21 ans, 14 ans et 2 ans, ils ont redoublé d’attention envers ces derniers.
«Si j’avais un conseil à donner aux parents, c’est d’être attentifs et à l’écoute de leurs enfants. Ne croyez pas que vos enfants font forcément un caprice lorsqu’ils parlent d’un problème concernant un enseignant ou des élèves. Il faut aller à la source du problème et agir vite avant qu’il ne soit trop tard.» Le souhait de Ravi et Devi : qu’aucun enfant ne connaisse le triste sort de Nitish et qu’aucun parent ne vive le même cauchemar qu’eux.
Quels sont les facteurs qui incitent un jeune à recourir à la violence ?
La violence est issue d’une interaction de facteurs psychologiques, sociaux, biologiques et environnementaux. La violence n’est pas génétique. L’OMS a reconnu, en 2010, que le facteur principal pour subir ou commettre des violences est d’en avoir déjà subi. Un enfant qui est témoin de violences à la maison et ou à l’école, et qui n’apprend pas qu’il y a des moyens adaptés et respectueux de soi, de l’autre et de l’environnement pour s’exprimer, est plus à risque d’avoir recours à la violence comme mode d’expression et de résolution de conflits. Sur le plan physiologique, certaines enzymes ou parties du cerveau ont un impact dans la préparation et le contrôle des comportements agressifs, dans le recours aux comportements agressifs dans des contextes d’insultes, etc. Mais ce ne sont que des facteurs biologiques fragilisants qui interagissent avec d’autres.
Il y a aussi des facteurs psychologiques : un attachement insécurisant, fragile avec la mère ou la personne responsable de l’enfant, une incapacité à mettre en mots ce qui est ressenti. Parfois, un sentiment de peur ou de colère envahit la personne qui l’exprimera par des actes au lieu des mots. Le manque de «coping skills» pour faire face à des situations difficiles, une perception de menace, une faible estime de soi, une inaptitude à affronter le stress, une intolérance à la frustration, un traumatisme, etc. Ces facteurs interagissent avec des facteurs sociaux comme les milieux familiaux instables, une absence de surveillance parentale, la présence de violences familiales, et des facteurs environnementaux tels que l’excès de bruit ou de chaleur. Tous ces facteurs fragilisants ont un impact dans le recours aux comportements agressifs.
Quelles conséquences les violences ont-elles sur les victimes ?
Les conséquences de la violence sont multiples, importantes et pas toutes visibles. La violence nuit à la construction et au développement de tout enfant victime. On observe un manque de confiance en soi, une faible estime de soi, des changements brutaux de comportement ou encore une grande tristesse, un état dépressif. On peut aussi noter un isolement, un grand sentiment de solitude, beaucoup de peur, une attitude passive et silencieuse ou à l’inverse beaucoup d’agitation. D’autres signes encore doivent alerter, comme l’hypervigilance, des crises de larmes sans raison apparente, des cauchemars, des insomnies, l’angoisse de la mort, des troubles alimentaires, une frayeur du contact physique et l’automutilation. Ça peut aller jusqu’au suicide.
Que faire dans des situations de violences, notamment impliquant des jeunes ?
La prise en charge de toute situation de violence consiste à agir, intervenir et à poser des actes éducatifs. Par la prévention. Et l’intervention. La violence n’est pas normale, ni justifiée. Même si elle est employée dans les familles ou les milieux scolaires depuis des années. Elle ne doit pas être banalisée, car les conséquences de toute forme de violences sont très importantes. Il y a des moyens adaptés et efficaces pour s’exprimer. Utiliser les mots, non les coups, pour dire ce qui est source de colère ou de souffrance.
L’enseignant, l’éducateur, le parent est un role model et il a la responsabilité d’être un exemple de non-violence pour tout élève. Et il doit intervenir pour arrêter une situation de violence entre enfants. C’est sa responsabilité d’empêcher les enfants de se frapper ou de s’humilier. On peut refuser d’en être victime et de la subir. Ou si elle est subie, il est possible de la signaler à un adulte responsable qui va intervenir pour protéger l’enfant. Au parent, au directeur d’école, à la CDU au 113, au bureau de l’Ombudsperson for Children : 454 30 10. Ou à la police en téléphonant au 148 et en remplissant une Form 58 si nécessaire. Il faut envisager un accompagnement social, médical, psychologique et légal pour toute personne victime de violence.
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