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Taille des kanwars : à quand une vraie réglementation ?

19 février 2023

Beaucoup estiment qu'il est important de réglementer la taille des kanwars.

Ils sont sous le feu des critiques depuis que ce drame est arrivé. Alors qu’on assiste chaque année à la réalisation de kanwars toujours plus impressionnants en taille, cette tragédie, qui a coûté la vie à deux jeunes, vient mettre en lumière le besoin de revoir les réglementations autour de ce pèlerinage. Un débat qui pourtant ne cesse de revenir sur le tapis depuis quelques années quand on constate les accidents impliquant les kanwars.

 

Quelques instants après le drame et alors que le pays était secoué par ce qui venait de se produire, la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation, à travers son président Bhushan Ghoorbin, a demandé à ceux ayant de gros kanwars de s’arrêter immédiatement, affirmant qu’ils n’auront pas accès à Grand-Bassin. «Seki ena gro kanwar, tir enn leson zot mem. Res anplas. Ni kit Ganga Talao ni vinn Ganga Talao. Un kanwar se porte sur l’épaule. Nous avons toujours demandé d’éviter ces grands kanwars.» Dans un communiqué émis le vendredi 17 février, cette instance a tenu à présenter toutes ses sympathies aux familles affligées par ce drame. Elle a aussi appelé la population à observer une minute de silence en mémoire des deux jeunes pèlerins décédés. Les autres associations socioculturelles ont aussi demandé aux véhicules d’éteindre leur musique en signe de deuil.

 

Si pour de nombreux Mauriciens, ce n’est pas la taille du kanwar qui pose problème, pour d’autres, il faudrait définitivement réglementer cet aspect des choses afin de limiter les risques et assurer la sécurité de tout le monde. Pour ceux qui partagent cette opinion, c’est définitivement aux autorités concernées et aux associations socioculturelles de se pencher le plus vite possible sur le sujet et de prendre les mesures qui s’y prêtent. D’ailleurs, la vidéo d’une internaute exprimant toute sa colère le soir du drame a été largement partagée et commentée sur les réseaux.

 

Dans celle-ci, cette citoyenne explique que c’est le devoir des associations socioculturelles de faire l’éducation des jeunes et de veiller à ce que les valeurs soient transmises. «Quel est votre rôle, votre devoir envers la société, la population ? Votre devoir, c’est de promouvoir la culture, les valeurs. Non, vous n’allez pas le faire parce que vous êtes busy à défendre les politiciens. Est-ce que vous savez même ce que signifient le Maha Shivaratree et le kawal ? Vous ne pensez pas que vous devez éduquer la jeunesse et les faire comprendre que ces grands kawals ne serviront à rien. C’est votre devoir d’éduquer, d’enseigner. En premier lieu, c’est la foi qui doit être grande, pas le kawal.»

 

Pourtant, l’All Hindu Force Common Front avait, lors d’une conférence de presse quelques semaines avant le début du pèlerinage, fait un appel aux pèlerins leur demandant de sortir plus tôt que prévu et de respecter toutes les consignes de la police afin d’éviter tout incident. Aujourd’hui, il est primordial, affirme la Voice of Hindu, de tirer des leçons de cette tragédie. Selon Navin Unoop, il est temps d’appliquer des règles. «Cela va de soi que les kanwars que nous construisons ne doivent pas être d’une taille à obstruer complètement les routes. Un communiqué avec des consignes précises doit être émis en ce sens très tôt. Une responsabilité qui revient à la Task Force sur l’organisation de Maha Shivaratree. Les organisations socioculturelles doivent se conformer à ces consignes mais aussi les relayer dans différentes régions, dans les temples et autres lieux.» Selon lui, les autorités concernées, l’opposition et les associations socioculturelles doivent réfléchir, ensemble, à comment apporter une réglementation afin que cela ne se reproduise plus jamais.

 

Amy Kamanah-Murday

 


 

Réactions

 

Dr Avinaash Munohur, politologue : «Ce drame appelle à des décisions fortes de la part des autorités»

 

«Le hasard a fait que je me trouvais à quelques minutes de marche du lieu de l'accident lorsqu'il s'est produit. Au regard de beaucoup de spéculations et des commentaires que j'ai pu lire, je pense qu’il est important de contextualiser certaines choses.

 

Tout d'abord, il convient de féliciter et de remercier les services urgentistes. Dès que les autorités ont été informées de l'accident, des policiers, les ambulances et les pompiers ont été déployés. Ils ont tous été extrêmement réactifs, les soins de premiers secours étant dispensés presque immédiatement et tous les blessés étant évacués vers les hôpitaux en une trentaine de minutes. Des officiers du CEB ont été dépêchés sur place afin de s'assurer qu'il n'y avait pas d'anomalies sur le réseau.

 

Il est indéniable qu'il y a eu de nombreux kanwars de très grande taille cette année et il est tout à fait légitime de se demander si les très grands kanwars ne représentent pas un danger pour les pèlerins et les usagers de la route.

 

La construction des kanwars relève d’une dévotion certaine. Certains d’entre eux peuvent prendre jusqu’à des mois et peuvent coûter plusieurs centaines de milliers de roupies. Nous voyons clairement là un engagement qui ne relève pas uniquement d’une semaine de pèlerinage mais d’un calendrier qui organise et mobilise les dévots et leurs ressources pendant une grande partie de l’année.

 

Ceci revient à dire que nous sommes ici dans un phénomène social complexe et que trouver une solution pour permettre la pratique religieuse tout en réduisant les risques doit passer par une négociation et une médiation entre les différents stakeholders.

 

Par exemple, beaucoup de socioculturels aident à l'organisation du pèlerinage et le mot d'ordre donné cette année par les autorités était de construire des kanwars de petite taille afin de ne pas encombrer les routes et la circulation. Ce mot d'ordre a été suivi par certains mais pas par d'autres. Le problème, c'est que sans règles formelles, il n’y a pas de limite réelle. Et le drame de ce jeudi appelle à des décisions fortes de la part des autorités. Il me semble qu’il est impératif que les kanwars répondent à un cahier des charges limitant la hauteur, la largeur, le poids et les matériaux dangereux afin de minimiser les risques pour les pèlerins et pour tous les usagers de la route.

 

Est-ce que ce drame aurait pu être évité ? Oui ! Comme tout accident, il aurait pu et il aurait dû être évité. Mais comme tout accident, il est toujours facile d'être plus sage après coup. Ce qui compte désormais, c'est de réagir de manière à ce que ce type d'accidents ne se reproduise plus.»

 

Christophe Karghoo

 


 

Lalita P. Junggee, entrepreneure : «Respect, le maître mot»

 

«Mersi a tou ban expert kanwar. Oui zot ti ena raison. Oui zot mem pli bon. 4 dévots finn kit zot lacaz a pied pou ale fer la prière ek c zot cadav ki pe retourner. Twa ki pou fer commentaire, oui to mem ki pli intelligent.

 

Bon dieu donne fami ek entourage ban défunts boku courage et la force pou surmonte ça drame la. Tou ban kanwarti ki lor chemin ek traumatisé par ça tragédie la, ki zot gagne courage pou termine zot pèlerinage.

 

Sécurité d’abord. Respect, le maître mot. Ki li lor ban réseaux sociaux, dan coin la boutique, dan ou lacaz ou lor ou lieux de travail. Enn kanwar, li sacré, pren boku heures voire plizir semaines pou fer li. Sak dimun ena so conviction ek so croyance. Zordi, li sirtou pa le moment pou ale expliquer, critiquer ou moins donne leçon. Nou moricien, nou enn pays arc en ciel. La paix ek l’harmonie social, c’est nou pli gran bénédiction. Ki nou pas laisse nou emporter par ban opinion racist ek communale.» (sic)

 

Parvèz Dookhy, avocat, cofondateur du Ralliement citoyen pour la Patrie : «Pour la sécurité de tous avant tout»

 

«L’encadrement, les règles, c’est pour la sécurité de tous avant tout. Mais parce que c’est religieux, l’autorité politique a cru devoir se plier et est incapable de poser les cadres. Or, les règles en matière de circulation, de déplacement sur les voies publiques, doivent être strictes et respectées, en toutes circonstances ! Laisser des pèlerins en roue libre (chacun fait ce qu’il a strictement envie sans se soucier ni de l’ordre public, ni de la sécurité) ne pouvait que mener à la dérive et, hélas, au drame.»

 

Stephane Chinnapen

 


 

Me Pravesh Nuckcheddy : «Un examen de la tragédie récente peut soulever plusieurs questions»

 

«Quels sont les rôles des groupes socioculturels hindous subventionnés à Maurice et sont-ils en partie responsables de la récente tragédie du pèlerinage qui a coûté la vie à deux fidèles et plusieurs autres blessés lors de leur quête dévotionnelle depuis Grand-Bassin ? Les festivals dépeignent le patrimoine, la culture et les traditions d’un pays particulier. Ils créent un état d’euphorie et d’enthousiasme. Les festivals offrent des avantages socioculturels. Ils permettent aux communautés d’accueil de montrer leurs traditions religieuses, leur religiosité, leurs formes d’art, leur nourriture et leur identité grâce à des efforts collectifs. Ils enrichissent le lien social et renforcent les liens entre les communautés locales, ce qui est clairement visible lors du festival Maha Shivaratree. De plus, ils renforcent les racines et les valeurs culturelles, et permettent la préservation des traditions et des coutumes. Les événements et les festivals contribuent au développement économique régional. C’est précisément pour cette raison qu’au cours des derniers siècles, l’État n’a cessé de subventionner un budget colossal pour les activités opérationnelles de ces groupes socioculturels.

 

Cependant, il est regrettable de constater que ces groupes socioculturels se sont éloignés de leurs objectifs spirituels et moraux initiaux, ainsi que de leur objectif premier d’éduquer la société dans son ensemble. Un examen de la tragédie récente peut soulever plusieurs questions, notamment combien de séminaires ou d’ateliers ont été organisés dans des villes et villages par ces groupes socioculturels pour sensibiliser et éduquer les fidèles sur les aspects de la construction du kanwar, les questions de santé et de sécurité, et ce qu’il faut faire et ne pas faire pendant le pèlerinage (...)

 

Il est plus que vital que les groupes socioculturels hindous, au lieu d’être des lobbyistes politiques, de se présenter pour obtenir une nomination politique ou d’allouer d’énormes ressources financières à la préparation de rassemblements politiques, se concentrent plutôt sur ce qui peut être fait pour parvenir à une société éduquée et équilibrée. Cette tragédie aurait pu être évitée si les fidèles avaient reçu les connaissances et compétences fondamentales des groupes socioculturels lors de leur préparation au pèlerinage.»

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