Publicité

À la rue Royale à Port-Louis

Après les flammes, le calme retrouvé

9 janvier 2025

C’est au cœur de la capitale, dans une chaleur suffocante, que nous avons constaté de visu les vestiges calcinés du bâtiment qui a embrasé la toile dans la soirée du vendredi 6 décembre. Quelques jours après l’incendie qui a ravagé un bâtiment de la rue Royale, la vie semble avoir repris son cours. Les rues, nettoyées et dégagées, ne portent plus les stigmates du sinistre. Les commerçants ont rouvert leurs magasins, les passants déambulent comme à l’accoutumée et l’odeur de brûlé s’est dissipée. Seuls quelques morceaux de bois calcinés, accrochés à la façade, rappellent la tragédie de cette nuit fatidique. Ce soir-là, la rue Royale a vécu l’un de ces drames qu’on n’oublie pas. Les fidèles de la Jummah Mosque, témoins de l’incendie, ont été parmi les premiers à donner l’alerte. Les commerçants, inquiets, se sont précipités pour protéger leurs magasins, tandis que les pompiers luttaient pour contenir les flammes et éviter qu’elles ne se propagent aux commerces voisins et à la célèbre mosquée, patrimoine emblématique de la capitale. Si aucune victime n’est à déplorer, une voiture garée à proximité a été lourdement endommagée par l’effondrement d’une partie de l’étage. L’origine du sinistre demeure, pour l’heure, un mystère. Aujourd’hui, la rue semble sereine, presque indifférente au chaos survenu quelques nuits plus tôt. Pourtant, au fil des discussions avec les commerçants, on comprend que l’empreinte du drame est encore vive. Au-delà des cendres, ce sont les questions qui continuent de brûler dans l’esprit des habitants et des commerçants. Celle qui revient le plus est : «Comment a-t-on pu en arriver là ?» Beaucoup évoquent la nécessité d’un entretien régulier des anciens bâtiments en bois, ces structures chargées d’histoire, qui font tout le charme de Port-Louis. Des édifices qui rappellent les débuts de la colonisation française en 1736, lorsque Mahé de Labourdonnais engageait de grands travaux pour donner forme à la capitale. Ces bâtiments au style inimitable sont la mémoire vivante de la ville, mais aussi des bombes à retardement lorsqu’ils ne sont pas bien entretenus. Car si la flamme s’est éteinte, les souvenirs, eux, continuent de brûler.

Juste à côté du site du sinistre, la famille Ng Kwet Pin, propriétaire de Ng Kwet Pin Ltd, une entreprise de fournitures scolaires et de papeterie établie depuis plus de 40 ans, a vécu de vives inquiétudes. «On recevait des appels et des vidéos. Enn kamarad inn dir mwa “ki pe deroule, dife kot twa” ! Ma mère Micheline est venue sur place. Le feu était immense et menaçait de se propager aux bâtiments environnants. Heureusement, notre bâtiment n’a pas de fenêtres. Sinon, ç’aurait pu tourner au drame. Nous avons aussi ouvert notre porte pour permettre aux pompiers de passer par ici pour attaquer les flammes d’un autre angle. Au début, les pompiers arrosaient depuis la rue, mais l’eau n’atteignait pas le cœur des flammes. On redouble d’efforts pour la sécurité de notre commerce. Nou asire ki tou take tegne avan nou ale. Enn biznes, li inportan pou tou dimounn !» La mère de Gary Ng Kwet Pin, le rejoint et partage son point de vue : «Par la grâce de Dieu, rien ne nous est arrivé. Ce bâtiment-là était à l’abandon, rempli d’arbustes et de feuillages. Il aurait fallu maintenir l’espace propre. Il faut aussi faire des inspections régulières des bâtiments et des alentours. Mais c’est la quatrième fois que je vois un incendie à Chinatown. Le dernier, c’était le feu du magasin Atlantic en 2022.»

Le magasin Kanzul-Ul-Imaan est une institution bien connue de la rue Royale. Faizal Nocimohamed, qui le gère, nous confie fièrement, le sourire aux lèvres : «Aujourd’hui, ça fait 34 ans que je vends des produits islamiques ici !» Mais son ton se fait plus grave lorsqu’il évoque la tragédie de vendredi dernier : «Dès que j’ai appris la nouvelle, je suis venu sur place, car le magasin est juste en face. Les pompiers étaient déjà là et ils ont été très efficaces. Malheureusement, pour le propriétaire de la voiture noire écrasée sous les débris, tou inn devire enn sel kou ! C’est la première fois que je vois un tel feu d’aussi près. C’était un vieux bâtiment. Il aurait dû être rénové, comme d’autres dans la rue, pour éviter ce genre de drame. Heureusement, le feu s’est déclaré dans la soirée. En journée, ces trottoirs sont très fréquentés. D’ici le 15 du mois, il y aura encore plus de monde dans la rue.»

Pour Aalia Nuckcheddy, employée depuis trois ans au magasin de prêt-à-porter Jia Yé Chinatown, l’incendie a été un choc. «Kan monn get video lor rezo sosio, mo ti krwar tou linz pou brile ! J’ai tout de suite appelé mon patron pour l’avertir.» Si le magasin a échappé aux flammes, le lendemain, la scène était chaotique. «Le samedi matin, il y avait des débris un peu partout sur le chemin et une coupure d’électricité. Ce n’est que mardi que tout est revenu à la normale et que j’ai pu reprendre le travail. Le bâtiment incendié était en mauvais état. Je voyais souvent des inconnus entrer dans la cour où la végétation avait poussé. Ce feu s’est propagé tellement vite ! Il faudrait revoir l’état des vieux bâtiments, car ils mettent en danger les commerces voisins. Cet incendie est un avertissement qu’il ne faut pas ignorer pour éviter d’autres drames.»

Comme ces structures d’architecture française, la rue Royale abrite également la célèbre Jummah Mosque, un monument historique construit en 1850. En franchissant ses portes, la chaleur accablante de Port-Louis s’apaise aussitôt. Nous sommes rapidement accueillis par Muhammad Riyaad Fokeerbux, l’Administrative Officer, qui nous invite dans la librairie de la mosquée. «Vous devriez revenir un jour pour visiter. La mosquée regorge d’histoire. D’ailleurs, en ce moment, un artiste est en train de peindre des calligraphies arabes sur les murs.» Le jour de l’incendie, il ne l’oubliera pas de sitôt : «Un ami m’a envoyé une vidéo, et en la visionnant, j’ai immédiatement reconnu l’endroit. J’ai foncé sur place, car une partie de la mosquée est en bois. Plusieurs membres de la direction et des fidèles sont aussi venus pour veiller à ce que les étincelles poussées par la brise ne s’accrochent pas aux parties en bois. À part le prélart au centre de la mosquée qui a eu quelques petits trous, il n’y a rien de plus grave. Ce feu m’a rappelé celui de l’Amicale quand j’étais enfant. Enn gran dife parey kouma sekinn gagne vendredi. Il faudrait un bon suivi de l’état des vieux bâtiments pour préserver le patrimoine de la ville. Cet incendie est un signal d’alerte. Nous allons renforcer notre système de sécurité pour que tout soit à jour.»

Publicité