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Fin de la gratuité : le pré-primaire entre inquiétude et mobilisation

18 octobre 2025

Le Free Pre-Primary Education Scheme, annoncé par le Premier ministre Pravind Jugnauth le 12 mars 2023, est entré en vigueur en janvier 2024. Il rendait l’éducation pré-primaire gratuite pour tous les enfants de 3 à 5 ans afin d’assurer un accès égal dès le plus jeune âge. À partir de janvier 2026, ce système sera remplacé par une aide mensuelle de Rs 2 750 par enfant pour les écoles privées, la différence restant à la charge des parents. Les écoles publiques continueront, elles, à offrir l’éducation pré-primaire gratuitement dans leurs 42 unités rattachées aux écoles primaires, aux conseils de district ou aux municipalités. Cette décision suscite inquiétude et colère chez les éducatrices et les parents. Entre incertitude sur les salaires, emplois menacés et hausse possible des frais, le secteur se mobilise pour faire entendre sa voix.

Éducatrices : «Nous, on devient quoi ?»

Il y a d’abord le choc, puis viennent les interrogations. Comme une bombe tombée sans avertissement sur tout un secteur, laissant enseignants et parents dans l’incertitude. Depuis l’annonce de la fin de la gratuité de l’éducation pré-primaire, le stress, la peur et la confusion se sont installés dans les écoles. Entre incertitude et inquiétude pour l’avenir, enseignants et parents cherchent des réponses qui tardent à venir et regrettent le manque de communication de la part des autorités. Corinne enseigne depuis une dizaine d’années, portée par la passion d’éveiller les plus petits.

À l’annonce du Free Pre-Primary Education Scheme, elle a cru, comme tant d’autres, à une véritable reconnaissance de son métier : un cadre plus stable, un salaire assuré, garanti par le soutien de l’État. Alors, évidemment, la nouvelle du retrait de ce scheme a été un choc. «Nous avons été prises au dépourvu. Avec le coût de la vie, nous sommes inquiètes. Ce n’est pas facile. Je ne travaille pas dans une grande école, mais nous faisons de notre mieux pour satisfaire les parents. Aujourd’hui, nous pensons à nos familles, à ce que nous allons devenir. On prend une décision et, le lendemain, on revient dessus. La loi, on dirait qu’elle n’existe plus. La colère est là, mais surtout l’incertitude. On termine l’année, mais qu’est-ce qui nous attend après ?»

Pour Corinne, l’éducation des tout-petits mérite une stabilité que les changements successifs mettent à mal. «L’éducation, ça commence à la base. Tout le monde cherche le meilleur pour son enfant. Nous, on veut parler pour dire qu’on refuse que ça soit comme ça. On espère quelque chose de concret et de positif. Parce que ça concerne les enfants, mais aussi des personnes qui ont choisi une vocation. C’est un métier qui demande beaucoup de patience, d’amour et d’attention.» Dans ce contexte, elle plaide pour que la voix de tous ceux concernés soit enfin entendue. «On veut juste que les autorités fassent quelque chose pour que le personnel voie le bout du tunnel. L’éducation pré-primaire, c’est la base de tout.» Même sentiment du côté de Meenaksi, directrice d’école avec 30 années de service. Elle parle de déception et d’une profonde inquiétude pour l’avenir. «Ce n’est pas juste. On n’a pas été informées. Beaucoup de membres du staff risquent de perdre leur travail, car les parents ne pourront pas payer. On voudrait que le ministère revienne sur sa décision, ou au moins qu’il continue de payer les salaires du personnel, comme avant.» Les questions, dit-elle, se multiplient de toutes parts, mais les réponses tardent à venir. Les parents, eux aussi, commencent à s’inquiéter. Certains se demandent s’ils pourront continuer à payer les mensualités l’année prochaine, surtout si, pour compenser le manque à gagner, les maternelles augmentent leurs frais. «On est dans le flou. Tout le monde se pose des questions et on n’a pas forcément de réponses. Selon notre contrat, le scheme devait se terminer en décembre 2026. Beaucoup d’écoles risquent de fermer. On nous a imposé des conditions impliquant plus de personnel, le salaire minimum a augmenté. C’est très difficile à gérer.»

Comment les écoles ont intégré le Free Pre-Primary Scheme

En janvier 2024, environ 652 écoles sur 775 avaient rejoint le programme, offrant une éducation pré-primaire gratuite à près de 19 600 enfants. Pour participer, elles devaient remplir plusieurs conditions :

• Enregistrement auprès de l’Early Childhood Care and Education Authority.

• Personnel qualifié : un directeur à plein temps, un assistant directeur pour les écoles de plus de 100 élèves, et un enseignant + assistant pour chaque groupe de 15 enfants. Les salaires étaient pris en charge par le gouvernement via le Grant-in-Aid (GIA), selon les recommandations de la Public Service Commission (PRB).

• Capacité minimale d’accueil : au moins 10 enfants âgés de 3 ans ou plus.

• Subvention opérationnelle : annuelle, couvrant loyer, services publics, matériel et ressources pédagogiques, de Rs 240 000 à Rs 650 000 selon le nombre d’élèves.

• Ratio enseignant-enfant : réduit à 1 pour 15 enfants, conformément aux recommandations de l’UNESCO.

Ce qui change à partir de janvier 2026

Subvention mensuelle fixe : Le gouvernement versera Rs 2 750 par enfant aux écoles pré-primaires privées, remplaçant le système de remboursement des frais opérationnels.

Frais à la charge des parents : Les parents devront couvrir la différence entre la subvention et les frais de scolarité totaux. Exemple : si une école facture Rs 5 000 par mois, les parents paieront Rs 2 250.

Maintien de la gratuité dans le public : Les familles peuvent toujours inscrire leurs enfants dans l'une des 42 unités publiques, où l’éducation pré-primaire reste gratuite.

La mobilisation s’organise : Jane Ragoo de la CTSP : «Nous demandons une rencontre avec le PM»

Une décision injuste et unilatérale. Qui, selon la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), met en danger l’avenir des écoles pré-primaires et des centaines d’employées qui y travaillent. Face à l’inquiétude grandissante, elle a réuni, ce vendredi, environ 350 employées du préscolaire pour décider de la marche à suivre. «Elles sont très tracassées. Elles terminent la fin de l’année sans savoir ce qui les attend l’année prochaine», confie Jane Ragoo. Elle s’inquiète aussi des implications financières du nouveau système. «Le gouvernement parle d’une subvention de Rs 2 750 par enfant, mais pour une école de dix élèves, cela ne fait que Rs 27 500, alors qu’un seul salaire peut atteindre Rs 20 000. C’est une impasse terrible.» Une première rencontre a eu lieu la semaine dernière avec le ministre de l’Éducation, sans toutefois déboucher sur une solution concrète. «Il nous a dit que sans argent il ne peut rien faire et que c’est quelque chose qui dépend du ministère des Finances.» Selon elle, l’absence de dialogue aggrave la situation : «Il n’y a eu aucune communication de la part du gouvernement, mais surtout de l’Early Childhood Care and Education Authority (ECCEA), qui est pourtant l’employeur direct. Nous avons écrit au Premier ministre et demandons à le rencontrer.» Si aucune solution n’est trouvée, la CTSP prévoit une manifestation le samedi 8 novembre à Port-Louis. «Nous demandons au ministère de revenir sur sa décision ou, au minimum, d’assurer le paiement des salaires comme avant, sous le GIA Scheme. Nous lançons aussi un appel aux parents à être présents, car ils seront eux aussi directement touchés.» En attendant, la CTSP assure le suivi avec le ministère de l’Éducation, en espérant le début d’un dialogue constructif.

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