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«Mon fils est un meurtrier… Mais je ne pourrai jamais le renier»

8 mars 2016

Malgré l’acte irréversible de son fils, Jessie Tanner continue de l’aimer d’un amour inconditionnel.

Sur cinq parents contactés, seules deux proches ont accepté de nous parler à cœur ouvert. Car que dire quand son enfant a commis l’irréparable ? Si ce n’est se taire dans un silence que seul un parent confronté à pareille épreuve peut comprendre. Un silence qui, parfois, est mal interprété et qui rend le parent complice de l’acte irréversible de son enfant. Jessie Tanner, 73 ans, et Vina Prayagsing, 41 ans, en savent quelque chose. Pendant plusieurs années, elles ont gardé le silence, n’osant pas évoquer les crimes barbares commis par leurs fils respectifs.

 

Janvier 2014. Thierry Agathe, 22 ans, tue son ex-petite amie Rachelle Rose, une habitante de Curepipe âgée de 21 ans, de plus d’une vingtaine de coups de couteau à Cité Argy, Flacq. Un crime odieux commis dans la maison de Jessie Tanner, la grand-mère du jeune homme, qui l’a vu grandir et l’a élevé comme son propre enfant. Les parents de Thierry Agathe s’étant séparés, c’est elle qui a assuré l’éducation de ce dernier qui l’a rendue si fière en réussissant brillamment aux examens du Higher School Certificate. «La maman de Thierry, ma fille, vit en France. Elle m’a confié Thierry lorsqu’il avait 3 mois. C’est mon fils. Je voulais qu’il ait un bel avenir», confie Jessie Tanner.

 

Rien de plus normal pour un parent qui rêve de tout ce qu’il y a de meilleur pour son enfant. Mais lorsqu’un dérapage surgit, lorsque l’irréparable se produit, c’est aussi l’existence du parent qui prend un sacré coup et qui s’écroule. Tel un château de cartes. Pour Jessie Tanner, le vendredi 31 janvier 2014 est une date qu’elle ne pourra jamais oublier. C’est ce jour-là que son fils est passé du simple jeune homme sans histoire à celui de meurtrier. «Je l’ai toujours connu très doux, calme et respectueux. Je ne sais pas comment il a dérapé et pourquoi il a assassiné Rachelle. Je veux comprendre, je cherche des réponses, je lui pose des questions. Mais à ce jour, il ne m’a jamais expliqué son geste. Entre le fait de ne pas comprendre et de ne pas connaître les raisons, je ne sais pas ce qui est le plus difficile», explique celle qui a dû retourner vivre dans la maison où l’horreur s’est produite.

 

Un mois après le drame, soutient-elle, elle n’a pu approcher sa demeure tant le lieu lui rappelait ce jour qui la hantera à jamais. Mais que faire lorsqu’on n’a d’autre endroit où aller ? «C’est quand même ma maison. J’ai dû y retourner et, avec l’aide de ma famille, je me suis adaptée à ma nouvelle vie dans cette maison. Mais il m’est impossible de ne pas penser à Rachelle. Elle est à chaque fois dans mes pensées. Je prie pour elle. Tout comme je prie pour le pardon de mon fils. Je condamne ce qu’il a fait. Mais je ne pourrai jamais le renier», lâche-t-elle en larmes.

 

Jessie a aussi dû affronter le regard des autres, les commentaires désobligeants. Comment faire face à tout cela ? «Àun moment, je ne voulais plus sortir. Je n’avais qu’une envie, c’est de rester chez moi, m’enfermer pour que personne ne me voie. Car affronter le regard des autres m’était insupportable. Parfois, j’avais l’impression d’avoir commis ce meurtre à la place de mon fils de par les regards portés sur moi.»

 

Puis, il faut surmonter l’absence de cet être cher qui se trouve derrière les barreaux. Chaque fête, chaque célébration familiale prend des allures dramatiques. Et pour maintenir les liens, tous les 15 jours, Jessie rend visite à Thierry.Ils n’ont alors qu’une quinzaine de minutes pour se parler. «Je peux toujours lui parler, le voir, même derrière les barreaux. C’est très difficile pour moi. Mais c’est encore pire pour la maman de Rachelle de ne pas voir son enfant, de ne pas lui parler, la voir grandir. Sa souffrance doit être terrible. Je pense aussi à elle. Je ne suis pas insensible à sa douleur. Je voudrais la rencontrer un jour, lui parler. Je ne sais pas quelle sera sa réaction et je crains de ne pas avoir les bons mots. Mais mon cœur a vraiment envie de lui parler. Car au final, nous sommes toutes les deux victimes de ce drame», confie Jessie.

 

«C’est difficile de le voir derrière les barreaux»

 

Vina Prayagsing, elle, a cessé de sourire depuis le 6 mars 2013. Ce jour-là, sur les flancs de La Citadelle à Port-Louis, son fils Kunal, alors âgé de 19 ans, a étranglé à mort son ex-petite amie Janeeta Ramchurn, une habitante de Montagne-Longue âgée de 18 ans. Depuis, lorsqu’on évoque ne serait-ce que le nom de son fils, elle ne peut s’empêcher de fondre en larmes. Il est presque impossible pour Vina d’admettre que son fils est un assassin qui a froidement ôté la vie à une jeune femme qui avait toute la vie devant elle. «Je suis une mère de six enfants. L’aîné est en prison pour avoir commis un meurtre. Je n’arrive toujours pas à croire qu’il est un assassin. Àla maison, il n’a jamais été violent. Je ne sais pas comment il en est arrivé là. C’est difficile à accepter, difficile de le voir derrière les barreaux», fait-elle ressortir, en tenant son benjamin sur ses genoux.

 

La demeure familiale, à Phoenix, est restée intacte depuis notre dernière visite il y a trois ans. Mais Vina, elle, semble avoir pris dix ans de plus. Sans doute à cause duchagrin. Le soir, dit-elle, elle arrive difficilement à fermer les yeux. Entre les visites chez le médecin, la prise de somnifères, pour ne citer que ceux-là, l’existence de Vina est loin d’être un long fleuve tranquille. S’ajoute à sa souffrance le fait de devoir expliquer à ses enfants en bas âge l’absence prolongée de leur frère aîné de la maison. «Les enfants posent toujours des questions, réclament leur grand frère. Je leur explique, puis ils oublient. C’est comme ça. Ils ne sont que des enfants. ÀNoël, au nouvel an ou autre célébration, le cœur n’y est pas. J’interdis à mes enfants d’acheter des pétards. Je leur prive quelque part de ce bonheur. Mais je n’arrive pas à faire autrement, sachant qu’un des nôtres est en prison», explique Vina, le cœur serré par l’émotion.

 

Poursuivant son douloureux récit, elle soutient ne pas pouvoir se concentrer uniquement sur l’avenir de ses cinq autres enfants et faire l’impasse sur Kunal qui est derrière les barreaux. Ce, même si certains de ses proches lui conseillent de le faire. Pour Vina, il n’est tout simplement pas question d’oublier son enfant. «Je ne pourrai jamais le renier. Il sera toujours mon enfant. On attend le début de son procès. On a très peur de la sentence qui lui sera infligée. On craint qu’il ne passe toute sa vie en prison. Je ne sais pas si je pourrai supporter cela. Mon fils m’a fait souffrir et me fait encore souffrir. Mais je ne cesserai jamais de l’aimer», lance-t-elle avec, dans la voix, du chagrin et de la honte.

 

De Jessie Tanner à Vina Prayagsing, nombreux sont ceux qui, à travers le  monde, se trouvent dans la même situation. En parler à cœur ouvert est sans doute ce qu’il y de plus difficile. Jessie et Vina ont toutes deux un point en commun : celui de ne pouvoir renier leurs enfants, malgré l’acte horrible et irréversible qu’ils ont commis. Leur coeur de mère en est incapable.

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